17 septembre 2020 • Opinion •
« La France va prendre le tournant de la 5G […]. J’entends beaucoup de voix qui s’élèvent pour nous expliquer qu’il faudrait relever la complexité des problèmes contemporains en revenant à la lampe à huile, je ne crois pas au modèle Amish » : les propos du président Emmanuel Macron, tenu mardi soir devant une centaine de patrons de la French Tech, semblent chercher à dessin à cristalliser le débat sur la 5G entre « progressistes » et chantres de la décroissance. Le calcul politicien n’est sans doute pas étranger à cette charge brutale.
Un débat constructif et serein sur le déploiement de la 5G dans notre pays ne peut cependant se satisfaire d’une telle simplification ni de ce qui s’apparente à une forme d’infantilisation des Français qui n’auraient de choix qu’entre des techno-béats et leur avenir forcément radieux d’une part et, de l’autre, des décroissants rétrogrades surfant sur la crise sanitaire et le détournement du principe de précaution pour discréditer une technologie prometteuse. Ce faux débat ne doit pas masquer les véritables enjeux économiques, de souveraineté, d’innovation et de réindustrialisation pour la France et l’Europe, ni masquer les problématiques sanitaires et environnementales potentielles.
Sur ce dernier aspect, il convient de raison garder. Le débat sur les risques sanitaires liés au déploiement de la 5G est sensiblement le même que ceux qui eurent lieu en leur temps avec la 2G, la 3G et la 4G et concernent essentiellement le classement par l’OMS, en 2011, des rayonnements électromagnétiques parmi les cancérigènes possibles. L’ANFR (Agence nationale des fréquences) se veut cependant rassurante puisque dans un rapport d’avril dernier, elle précise que lors des mesures tests sans trafics des sites 5G allumés, les niveaux d’expositions sont très faibles (0.36 V/m) et que, même lorsque l’antenne émet en continue et à pleine charge dans une direction donnée, il plafonne à 9 V/m, ce qui est bien inférieur à la valeur limite réglementaire, fixée à 61 V/m dans la bande de fréquences 3,5 GHz. Ces analyses rassurantes sont en phase avec celles des autorités compétentes d’autres pays européens.
Venons-en aux autres aspects : économiques, industriels et politiques. Il est parfaitement possible de faire du déploiement de la 5G une authentique opportunité pour la France, une opportunité de réarmement technologique et industriel. Quatre conditions à cela, qui réclameront fermeté et vision à long terme – que nous n’avons pas observées jusqu’ici.
Première condition : l’affirmation d’une volonté politique forte sur le sujet de la souveraineté numérique française et pas simplement des mesures techniques, mi-figue mi-raisin, plus ou moins révisables et plus ou moins assumées, qui tentent de préserver les apparences quant au respect des règles du droit de la concurrence européen, comme nous l’avons vu récemment sur le dossier Huawei. Celle-ci pourrait se traduire par la création d’un marché intérieur souverain et protégé, favorable à l’émergence de champions européens du numérique et à l’initiation d’un mouvement en profondeur de réindustrialisation du continent en commençant par les domaines sensibles (antennes, centres de données, contrats militaires, contrats avec les forces de l’ordre, etc.).
Une véritable stratégie de souveraineté numérique ne peut en outre se contenter d’incantations ni de chimères telles que la promotion des « licornes » de génération spontanée qui viendraient comme par miracle concurrencer les géants américains et chinois du numérique… C’est tout en environnement favorable qu’il faut construire, mêlant start-up, ETI, grands groupes, etc.
Deuxième condition, en application de la première : réformer les règles européennes de la concurrence. Depuis le traité de Maastricht, l’Union européenne semble avoir pour seule ambition d’assurer le fonctionnement du marché commun conçu comme simple zone de libre-échange se contentant d’absorber les produits du monde entier au profit d’un consommateur anonyme. Il est temps que cela change et si les récentes déclarations de Thierry Breton, commissaire européen chargé de la politique industrielle, du marché intérieur et du numérique, vont dans le bon sens, elles sont encore bien trop timides. Il conviendrait de définir une nouvelle stratégie de « production européenne » en créant un « écosystème » européen indépendant alliant investissements, recherche, industrie, vecteurs de diffusion et mesures douanières.
Pour cela, ce sont de véritable Groupements d’Intérêts Économiques (GIE) européens qu’il faut favoriser, au travers de mesures incitatives de type « zones économiques spéciales européennes » qui favoriseraient la réindustrialisation européenne, ou de Groupements d’Intérêts Publics Européens (GIPE) dans les domaines militaires ou relevant de la sécurité nationale.
Troisième condition : mettre en œuvre une stratégie d’innovation industrielle dans le secteur des objets connectés. Le marché des smartphones, par exemple, qui est arrivé à maturité (avec un taux d’équipement des ménages de près de 80%), va être impacté par le déploiement de la 5G qui nécessitera un renouvèlement des appareils. Mais dans le Top-12 des entreprises mondiales de smartphones, neuf sont chinoises et aucune n’est européenne. Il y a là encore une occasion unique de réindustrialiser notre pays pour produire ces futurs appareils sur le territoire nationale et ailleurs en Europe.
Le marché des objets (IoT, Internet of Things) va, lui aussi, connaître un développement fulgurant dans les années à venir, avec des estimations qui oscillent autour de 50 milliards d’objets connectés d’ici la fin 2020 et 150 milliards d’ici 2025. L’innovation française et européenne ne doivent être absentes de ce marché. Le renouveau industriel passe par ce secteur. Enfin, le maché des véhicules autonomes qui s’oriente vers le tout-électrique pourrait, si des synergies étaient mises en œuvre dans le cadre du plan hydrogène décarboné français dévoilé en septembre dernier, permettre une nouvelle rupture technologique avec des véhicules autonomes alimenté par des piles à combustible « made in France » ou des réservoirs à hydrogène préremplis et interchangeable pour les véhicules lourds autonomes et devenir une filière d’avenir et d’excellence industrielle.
Quatrième condition : cette nouvelle ambition devra s’appuyer sur un véritable « plan Marshall » de la formation professionnelle pour accompagner la transformation numérique que la 5G va accélérer. En avril 2019, l’OCDE annonçait que 14% des emplois pourraient disparaître d’ici vingt ans en raison de la numérisation de l’économie et que la France serait un peu plus exposée que la moyenne, avec 16,4% de postes menacés et 32,8% transformés. Il va donc falloir investir tous azimuts dans la formation. Nous avons déjà proposé la création d’un « crédit de formation de transition technologique » pour les salariés. Ce nouveau dispositif se calculerait en fonction des évolutions techniques dans chaque secteur (par un indice) afin de permettre aux employés de rester dans la course ou de changer de domaine. De nombreuses autres initiatives, en formation initiale comme en formation continue, sont à prendre.
Le plan « France Relance », présenté par le gouvernement le 3 septembre dernier, comporte certes un chapitre complet dédié à la souveraineté numérique et un autre à la mise à niveau numérique de l’État, des territoires et des entreprises. Cela s’apparente à un tournant à 180 degrés de la part d’un gouvernement qui définit désormais le retour à la souveraineté comme une condition de survie de l’économie française. On peut s’en réjouir mais la modestie des investissements réels dans le plan inquiète plus encore. Le tourant de la 5G profitera à l’économie française, à la France et aux Français si des actes réellement forts suivent les discours. A bon entendeur…