L’économie s’est-elle vendue à Thanos, adepte de la décroissance ?

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

19 septembre 2020 • Chronique •


La résurgence des thèses sur la décroissance nous renseigne sur l’effondrement de l’adhésion au capitalisme classique à travers le monde, juge Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More.


Thanos… Ce nom évoque peut-être beaucoup plus à nos lecteurs que bien des économistes. Cependant, le géant marmoréen de la série Avengers est probablement le meilleur emblème de la pensée magique décroissante qui renaît tel le Phénix de ses cendres en ce moment dans la communauté des économistes. Thanos est ce vilain archétypal ennemi des Avengers, qui décide d’éliminer la moitié des habitants de la galaxie, et plus spécifiquement, la moitié des Terriens, de manière purement arbitraire par le truchement d’un pouvoir absolu que lui confère des pierres magiques dont il se met en quête.

Son argument : l’humanité court à sa perte, détruit ses ressources, il se propose de lui offrir sous son égide un avenir dégagé du risque de disparition de l’espèce, en divisant le nombre de ses membres par deux. Au premier abord, on peut considérer qu’il y a toujours eu des savants Thanos, ce dernier étant un peu le lointain avatar de Malthus. Thomas Malthus, au dix-huitième siècle, préconisait de limiter les naissances car il corrélait la courbe de fécondité à l’exploitation des ressources, et prédisait l’impossibilité de nourrir une civilisation humaine trop nombreuse. Malgré des résurgences récurrentes, sa doctrine, le malthusianisme économique, pâtit des avancées exponentielles de la technologie et de l’utilisation des ressources de la planète : ses augures ne se réalisèrent jamais.

Thanos, d’une certaine manière, est un grand optimiste par rapport à Thomas Malthus : il ne dit pas que nous allons manquer de ressources et connaître l’extinction, il propose une solution immédiate, radicale, qui nous mettra sur le bon chemin (définitivement ?). Les économistes de la décroissance, comme Peter Victor ou François Biens, prônent par exemple, pour mieux respecter l’environnement ou par sobriété, un retour en 2035 au PIB de 1976. Le recul du PIB, comme celui dont nous faisons l’expérience avec les conséquences économiques du Covid, signifie une destruction de l’activité marchande, une absence d’échanges, comme ce que nous avons connu durant le confinement.

Cela a pu exister au cours de notre histoire, comme lors de longues périodes du Moyen Âge, du fait de la perte de connaissances techniques, de troubles géopolitiques ou même de pandémies ou de catastrophes naturelles. Il y a en réalité des éléments décroissants intrinsèques dans nos systèmes économiques ou sociaux : la guerre, externe ou civile, la maladie, les crises financières, etc., mais le mode normal de l’activité humaine est celui de la croissance. François Briens recommande dans la même veine de diviser le temps de travail par… quatre. Ce recul de l’activité économique orchestré en fait par des pouvoirs publics doit réduire les émissions de CO2, le chômage, la dépense publique, etc. En lisant ces économistes de la décroissance qui inspirent parfois les Verts français, nous avons à traiter une pensée magique peu éloignée des pierres de pouvoir de Thanos.

Surtout, la résurgence de ces thèses, disparues durant la période de l’après-guerre, nous renseigne sur l’effondrement de l’adhésion au capitalisme classique à travers le monde. D’aucuns en viennent à célébrer les pandémies ou les troubles sur le thème : il faut détruire un peu de ce monde qui ne tourne pas rond. Ils oublient un peu vite le coût humain et social de la décroissance. Dans Avengers, le monde pleure sa moitié disparue et s’il a survécu, considère ce deuil comme insurmontable : une société fondée sur une telle injustice, qui n’a pu offrir à tous les mêmes perspectives de vie, n’a pas de raison d’être.

Il faut donc inverser le cours du Temps pour éviter ce génocide et remettre l’humanité sur de meilleurs rails, en se fiant au génie humain : la technologie et le sens des réalités a toujours permis à l’humain de vivre en harmonie avec sa planète. Il y va de son intérêt : ce n’est pas la planète qui est en danger (elle survivra l’homme de plusieurs milliards d’années), mais notre espèce, quand elle ne sait plus gérer son harmonie avec la nature. Pour cela, il faudra lutter aussi contre les économistes Thanos de tout bord. A la fin, dans tous les scénarios, Thanos est perdant.