25 septembre 2020 • Opinion •
Présenté le 23 septembre par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, ce pacte traduit une approche exclusivement gestionnaire et procédurale de l’immigration.
L’Union européenne est épuisée. L’aventure politique de l’« union sans cesse plus étroite » dans la paix de pays qui s’étaient tant déchirés dans la guerre, est à l’arrêt. Constituant pour l’essentiel un marché commun (qui ne manque pas de défauts mais présente des avantages qu’il ne faut pas négliger non plus) et une sorte de Commonwealth aux solidarités de plus en plus lâches entre États membres, l’Union n’a que très peu de consistance politique : aussi bien sur la scène du monde, sur laquelle les géants jouent aisément de ses faiblesses et des divisions de ses membres, qu’aux yeux des peuples européens, dont le sentiment général oscille entre indifférence et rejet de plus en plus marqué. Après des décennies de constructivisme politique, la « puissance douce » à l’extérieur et le « patriotisme constitutionnel » à l’intérieur sont de patents échecs : c’est qu’ils ignorent le tragique des passions politiques qui font l’histoire.
Le nouveau « pacte européen sur la migration et l’asile », présenté mercredi par la présidente de la Commission européenne Ursula van der Leyen, offre de cela un cas d’école. Il est l’exemple parfait de l’inanité politique de l’Union européenne : incapable de porter un regard politique sur l’immigration et ses effets, elle multiplie des outils visant à accompagner un phénomène qu’elle subit sans questions. C’est l’involonté politique élevé en système. Le pacte ne parle pas de politique mais d’une « approche » et de « procédures ». Il n’ambitionne pas de contrôler les flux migratoires, pas plus que de les réduire, mais de les « gérer » tout au plus – la formule consacrée est « managing migrations » (le mot revient neuf fois dans le communiqué de présentation du « pacte »).
Pas de volonté ferme, pas d’objectif politique ambitieux : dès lors, il serait un peu vain de consacrer ces lignes à l’analyse de la longue liste des mesures dévoilée mercredi. Elle cherche, par la voie d’une « gouvernance commune », de l’optimisation du « système de gestion des migrations prévisible et fiable » et du renforcement du « cadre juridique » – mots vides du new public management et de la vision bureaucratique du monde –, à ménager à la fois les pays du sud qui sont en première ligne et les pays partisans d’une politique plus ferme (groupe de Visegrad – Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie – en tête). Elle tente de convaincre que le taux de retour des déboutés du droit d’asile pourra ainsi monter à 70% (quand on sait qu’il était de 4% en France en 2015, selon la Cour des comptes) en même temps qu’elle affirme que cette nouvelle « politique de migration légale et d’intégration crédible profitera aux sociétés et aux économies européennes »…
Ce dernier point, mineur dans le « pacte », mérite qu’on s’y arrête. La Commission prétend encore que l’Union européenne, dont la population vieillit et qui manque de main d’œuvre, aurait intérêt à attirer ceux dont elle aurait besoin pour faire tourner la machine économique. C’est la reprise pure et simple de la vision de l’ONU dans son fameux rapport « Migration de remplacement : une solution au déclin et au vieillissement de la population ? », publié en l’an 2000. Ce rapport, qui a fait couler tant d’encre, était pétri du dogme de la « mondialisation heureuse » qui régnait à l’époque. Le problème est que, vingt après, le bilan est pour le moins sombre. Ce dogme, qui voyait la personne humaine comme un agent économique interchangeable et déplaçable au gré des besoins de la mondialisation, ne résiste pas au spectacle de la fracturation de nos sociétés, de la montée du communautarisme et du racialisme, des phénomènes spectaculaires de violence ethniques qui nous explosent au visage.
Machine fatiguée et si peu faite pour la haute politique, pilotée par des hommes et des femmes peut-être sincères mais manifestement mus par une vision de l’immigration qui passe à côté de la réalité concrète de ses effets politiques, sociaux et culturels (tant il est vrai qu’on ne peut penser l’immigration sans penser l’intégration), l’Union européenne n’est tout simplement pas capable de concevoir une stratégie à la hauteur des tempêtes qui s’annoncent.
Rappelons que les projections démographiques tablent sur près de 2,5 milliards d’habitants en Afrique dans trente ans (soit 25% de la population mondiale) et plus de 4 milliards en 2100 (soit 40% de la population mondiale) et que cette pression démographique ne sera pas sans conséquences sur le Vieux continent. Rappelons que les migrations sont devenues une arme géopolitique entre puissances, comme l’a montré en mars dernier le régime de Recep Tayyip Erdoğan quand il a massé plus de 130 000 candidats à l’immigration aux portes de l’Europe (dont, de l’aveu même du ministre turc de l’Intérieur, seuls 20 à 25% pouvaient éventuellement prétendre au statut de réfugiés). Rappelons encore qu’en ayant installé au mois de juin, sans réaction de notre part, une sorte de protectorat sur la Tripolitaine et l’ouest de la Libye, le président turc s’assure la maîtrise d’une seconde route migratoire et tient désormais prête la menace migratoire sur la tempe des Européens.
Que pèse le nouveau « pacte européen sur la migration » devant ces pénibles et angoissantes réalités ? Ce que pèsent toutes les grandes ambitions européennes depuis quarante ans… Car il évite la seule question qui vaille : veut-on, oui ou non, limiter l’immigration en Europe ? Tant que l’objectif ne sera pas clair, on restera à la merci de ces flux considérables de migrants et de ceux qui les manipulent. Si l’on y répondait clairement, le travail serait difficile mais une stratégie enfin forte serait possible. Une stratégie en quatre axes visant à assurer un meilleur contrôle des frontières extérieures et intérieures, à contenir les principaux flux migratoires par des interventions au plus proche des foyers de départ, à faciliter l’expulsion effective des personnes en situation irrégulière et à redéfinir une appréciation plus stricte du droit d’asile (l’Institut Thomas More a formulé treize propositions en ce sens l’an dernier).
Le problème migratoire n’est pas une variable de la politique économique et sociale. Ce n’est pas non plus une question de gouvernance, ni de procédures. C’est une question existentielle en ce qu’elle touche à l’identité et à l’avenir des peuples et des cultures. Voilà ce que la Commission européenne ne peut ni ne veut comprendre. Il est pourtant plus que temps.