5 octobre 2020 • Opinion •
Julien Volper, est l’auteur de la note « Restitution du patrimoine culturel africain : une erreur culturelle, une faute politique » de l’Institut Thomas More (en savoir +).
Le 30 septembre, dans la plus grande indifférence, un projet de loi a été voté par la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée Nationale. Approuvé à l’unanimité et présenté en première lecture le mardi 6 octobre, il concerne la restitution de vingt-sept biens culturels à deux pays africains, le Bénin et le Sénégal.
Pendant les deux heures que dura la séance, aucun avis contradictoire, publié dans les journaux ou bien émis par les différents experts auditionnés les semaines précédentes par les membres de la commission, n’a été ne serait-ce qu’évoqué… Des experts reconnus, comme le juriste Yves-Bernard Debie ou l’historien de l’art Bertrand Goy, purent donc s’exprimer pour la forme mais ne furent pas écoutés par les membres de la commission.
L’écoute attentive des débats de la commission permet de se rendre compte de la teneur des réflexions. Il suffit d’entendre Michel Larive, député LFI de l’Ariège, parler de la nécessité de rendre le « trésor de Samory » au Sénégal pour se rendre compte du niveau d’ignorance de nos élus. De fait, un peu de travail et de raison auraient appris à Michel Larive que l’histoire de l’almamy Samory et de son Empire ont moins à voir avec le Sénégal qu’avec des pays comme la Guinée, le Mali, le Burkina Faso ou la Côte d’Ivoire. C’est d’ailleurs dans ce dernier pays qu’il fut décidé, durant l’année 2020, d’ériger une grande statue de Samory. Soit dit en passant, ceci constitue une preuve que, de nos jours, on peut honorer un héros de la résistance coloniale… qui fut également un conquérant et un esclavagiste.
Il est tout aussi étonnant de voir le groupe LR, habituellement vent debout contre l’approche présidentielle en matière de communautarisme, approuver un projet de loi portant la marque du CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires de France) et de son ancien président, Louis-Georges Tin (invité sur tous les plateaux alors qu’il n’a, à notre compétence, aucune compétence particulière en matière historique et muséale) très actifs sur le dossier des restitutions au Bénin depuis 2013. Quant au PS, il est difficile d’imaginer que ce fut un membre de ce parti qui, en 2016, en réponse à une demande béninoise de restitution, avait su défendre le caractère inaliénable des collections françaises : il s’agissait du président François Hollande.
Bien entendu, on peut toujours se dire qu’il ne s’agit que de vingt-sept objets sur les milliers que comportent les collections muséales françaises. Cela serait pourtant mal raisonner car, en matière d’inaliénabilité des collections nationales, ce n’est pas le nombre d’objets qui compte. Créer des exceptions, comme le fait le projet de loi, ouvre des brèches dans son principe même.
Or, nous y sommes déjà. Il ne s’agit plus de rendre seulement vingt-sept pièces à deux pays. Il faut entendre avec quel détachement Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, a annoncé que cinq autres pays africains ont d’ores et déjà demandé des restitutions d’œuvres à la France : le Mali, le Tchad, Madagascar, l’Éthiopie et la Côte d’Ivoire. Sur le même ton désinvolte, madame Bachelot précise que ces demandes concernent à ce jour plus de 13 000 objets des collections nationales françaises… pour lesquels il faudra bien sûr d’autres projets de loi permettant une curée patrimoniale aux apparences légales.
Rien n’est donc trop beau pour tendre la main à ces pays d’Afrique que l’on dit largement appauvris de leur patrimoine. Mais, de quelle perte parle-t-on ici ? De celle que l’on attribue forcément à l’époque coloniale ou bien de celle qui relève de la négligence et de l’instabilité politique de ces pays ?
Car il faut dire les choses comme elles sont. Le Bénin est enchanté des vingt-six pièces qu’il compte récupérer avec le projet de loi et envisage même de demander un supplément. Mais que compte faire ses autorités pour retrouver les quelques trois cents pièces disparues ces dernières décennies du Musée d’Abomey, fondé à l’époque coloniale ? Le Sénégal va, quant à lui, récupérer un sabre du Musée de l’Armée. Mais quelqu’un s’inquiète-t-il des centaines d’objets disparus des collections du musée de l’IFAN (lui aussi hérité de l’époque coloniale), dont une très précieuse terre-cuite archéologique dite de Djenné ?
La Côte d’Ivoire joue des coudes pour avoir son morceau des collections françaises avec une réclamation à venir de plus d’une centaine d’objets. Faut-il rappeler au gouvernement ivoirien que, en 2011, près de cent objets furent volés au Musée d’Abidjan (fondé également à l’époque coloniale) ? Madagascar se met en tête de récupérer une couronne de dais conservée au Musée de l’Armée. Peut-on s’interroger si cette réclamation se fait dans le but de remplacer à peu de frais la couronne de la reine Ranavalona volée en 2011 au Palais d’Andafiavaratra ?
Peut-on parler aussi des prétentions du Tchad qui souhaite récupérer plusieurs milliers de pièces ? Peut-on là aussi signaler que les objets tchadiens des collections françaises sont très majoritairement des pièces archéologiques touchant notamment à l’ancienne culture Sao ? Or, on peut dire que les expéditions ayant permis de constituer les collections françaises n’ont fait que découvrir une infime partie de ce patrimoine enterré. Des fouilles d’envergure permettraient d’en savoir plus sur la culture Sao et de découvrir, à n’en pas douter, des œuvres splendides à même de combler les musées locaux… mais il semble que cela ne soit pas une priorité culturelle du gouvernement tchadien.
Finalement, il faut bien se rendre compte que ce projet de loi ouvre une boîte de Pandore extrêmement toxique. Avec le CRAN mais aussi la Ligue de Défense Noire Africaine (LDNA) en première ligne, des relents communautaristes et racialistes se font nettement sentir. A l’erreur culturelle, patrimoniale et muséal, ce projet de loi ajoute la faute politique.