Enfant « transgenre » sur le plateau de Quotidien · Le décryptage d’un pédopsychiatre

Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste, membre du groupe de travail Famille de l’Institut Thomas More

8 octobre 2020 • Opinion •


Le désir apparent que peut exprimer un enfant pour changer de sexe comme nous l’avons vu sur le plateau de Quotidien est à prendre avec des pincettes. Un enfant de cet âge est en réalité d’abord prêt à tout pour plaire au regard de ses parents.


Le passage de Lilie Vincent sur le plateau de Quotidien a suscité beaucoup de réactions. L’enfant de huit ans déclare, sous le regard de sa mère, qu’il se sent fille. Que faut-il en penser ?

« Être garçon » ou « être fille », c’est pour tous les enfants une interrogation qui parcourt leur vie affective naissante ; d’autant qu’ils n’ont qu’une notion floue de ce à quoi correspond le fait qu’il y ait deux sexes, masculin et féminin. Ils ont tôt la notion d’une différence corporelle qui les intrigue, d’autant que souvent résumée au fait que le garçon possède un organe que la fille n’a pas, comme si elle en avait été dépossédée.

Mais ils portent aussi une attention aigüe à ce que leurs parents leur semblent avoir attendu de leur venue au monde, dans le besoin d’être aimé d’eux : voulaient-ils avoir un fils ou bien une fille ? Auraient-ils été plus contents avec un enfant de l’autre sexe que le mien ? Se définir garçon ou fille, cela toujours implique de mettre en concordance le sexe corporel avec ce qui est ressenti de leurs attentes, et accepter d’en faire son « vrai » sexe.

Parfois s’impose à l’enfant l’idée qu’être de l’autre sexe lui garantirait d’être mieux aimé ; ce peut être le garçon timide ou la fille « garçon manqué », et parfois le vœu exprimé par l’enfant de changer de sexe car il se ressent appartenir à l’autre sexe. On désigne aujourd’hui ce vœu sous la dénomination d’être « transgenre », façon d’éluder les interrogations affectives tourmentées dont émane ce vœu, ce que font les militants en plaidant l’explication réductrice imputant à la « Nature » une erreur qu’elle aurait commise en affectant un corps de garçon à une âme de fille ou réciproquement. C’est que les sentiments concernés sont chargés, ce qui impose de les respecter, mais pas d’avaliser une explication qui élude la vie affective en ses possibles tourments.

Que faut-il faire ? À l’âge adulte, la demande de changement de sexe est désormais acceptée juridiquement, selon la manière cependant discutable qui efface le sexe d’origine de l’état civil, avec ou sans le recours aux traitements hormonaux palliatifs et à la chirurgie censé corriger la supposée erreur naturelle. Mais il est entrepris avec l’assentiment de la personne concernée, conformant sa situation corporelle à son ressenti d’être de l’autre sexe.

Mais chez l’enfant ? La demande à cet âge traduit une perplexité qu’il convient d’abord de comprendre ; perplexité sur ce qu’est être garçon ou être fille, perplexité sur la façon d’être soi-même en offrant la meilleure réponse possible aux attentes de ses parents. Il ne faut donc pas s’adresser aux associations militantes qui éludent la perplexité, et se méfier des traitements trop hâtivement prescrits, notamment d’inhibition de la puberté, à la manière anglo-saxonne.

Mais il faut ouvrir la réflexion sur ce que la demande de l’enfant veut dire : respecter la parole de l’enfant, ce n’est pas prendre son propos à la lettre, ce n’est pas le traiter comme un petit adulte qui maîtriserait des données qui lui demeurent énigmatiques, notamment sur l’identité sexuée. Les parents sans doute pensent bien faire en étant attentifs aux demandes de leur enfant ; mais ils ne doivent pas craindre les désarrois qu’elles recèlent et au contraire se mettre à leur écoute, aidés par l’aide psychologique qui est à leur disposition pour les accompagner dans ce difficile rôle de parents, une aide qui s’appuie sur le fait qu’ils furent eux-mêmes des enfants jadis, ce qui est le plus sûr moyen de comprendre son enfant. Cette aide est en outre accueillante aux questionnements de l’enfant, qui pour l’essentiel se résument au besoin d’être aimé et de se sentir compris.

Laissons à la romancière Brigitte Kernel le mot de la fin ; elle prête à Gregory Hemingway devenu Gloria (Le mystère Hemingway, Flammarion, 2019) ce propos empreint de sagesse: « la réattribution sexuelle est mon combat. Il faudrait avoir dépassé vingt-cinq ans, car je crains le possible regret des jeunes gens qui se font opérer trop tôt », ce qui de fait peut aboutir à des catastrophes.