26 octobre 2020 • Entretien •
Ceux qui ont lancé une fatwa sur Samuel Paty sur les réseaux sociaux ne l’ont pas fait de manière anonyme, souligne Cyrille Dalmont. Selon le chercheur associé à l’Institut Thomas More, les dispositions de la loi Avia censurées par le Conseil constitutionnel n’auraient pas permis d’empêcher cet attentat.
Plusieurs responsables politiques appellent à rouvrir le débat sur la loi Avia, pourtant censurée en juin dernier par le Conseil constitutionnel. Selon le ministre de l’Intérieur, cette loi aurait permis de supprimer la vidéo du parent d’élève s’étant emporté contre Samuel Paty. Est-ce aussi votre avis ?
Je crois profondément que les propos attribués à Benjamin franklin : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux », sont plus que jamais d’actualité. Ainsi, pour lutter contre l’obscurantisme de l’islamisme politique qui veut museler notre liberté d’expression et notre mode de vie, le gouvernement ne propose-t-il rien de moins que d’imposer une censure généralisée sur les réseaux sociaux.
D’ailleurs, le Conseil constitutionnel ne s’était pas égaré dans sa décision très forte du 18 juin 2020 dans laquelle il a censuré pas moins de dix articles sur dix-neuf de la loi « visant à lutter contre les contenus haineux sur internet », dite loi Avia, en affirmant solennellement que « le législateur a porté à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui n’est pas adaptée, nécessaire et proportionnée au but poursuivi ».
En outre, comme on l’avait fait remarquer dans ces colonnes, le Conseil constitutionnel avait adossé le fait qu’« en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services et de s’y exprimer » à l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC), qui a valeur constitutionnelle.
Et force est de constater que le fond du débat est là, on ne lutte pas pour préserver la liberté d’expression en généralisant la censure, mais nous y reviendront.
L’anonymat en ligne ne favorise-t-il pas les discours de haine ?
Il est de bon ton depuis plusieurs années de faire porter aux réseaux sociaux la quasi-totalité des problèmes de notre temps. Les réseaux sociaux ne sont pourtant le plus souvent qu’un révélateur de la déliquescence de de nos sociétés et nos démocraties qui préfèrent le plus souvent tirer sur le messager que de lutter contre le générateur du problème.
L’anonymat n’est un problème qu’au regard de la faiblesse des moyens techniques et humains dont disposent les forces de l’ordre et nos magistrats pour suivre et poursuivre les auteurs d’infractions ou de délits sur les réseaux sociaux. Lors de l’abomination qui s’est déroulée au collège du Bois-d’Aulne, à Conflans-Sainte-Honorine dont l’épilogue infâme s’est traduit par la décapitation du professeur Samuel Paty par le terroriste Abdoullakh Anzorov, les protagonistes ont échangé leurs messages à « visage découvert ».
Une note des services de renseignement avait en outre signalé la polémique qui se déroulait sur les réseaux sociaux, sachant que quelques-uns d’entre eux étaient fichés S pour radicalisation : c’est un euphémisme de dire que l’inertie fut grande.
Avec la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les articles 222-16, 222-33-2-1 et 222-33-2-2 du code pénal concernant le harcèlement et les articles 226-4-1 et 226-22 du code pénal concernant l’utilisation de données personnelles et leurs divulgations, nous disposons en réalité déjà d’un arsenal juridique bien fourni. L’anonymat sur internet me semble un faux problème, puisque les forces de l’ordres peuvent rapidement en obtenir la levée sur saisine de l’autorité judiciaire.
Le sentiment d’impunité et de toute puissance qui en découle semble dans cette affaire, comme dans tant d’autres, beaucoup plus mortifère que l’anonymat.
Cette loi entraînerait des privations de liberté mais celles-ci ne sont-elles pas nécessaires au regard des menaces que fait courir la propagation de l’idéologie islamiste sur Internet ?
Cette méthodologie de travail du gouvernement de réguler par la censure le problème de l’islamisme sur les réseaux sociaux risque surtout de casser le thermomètre plus que de soigner le malade. Le phénomène et les dangers liés à l’islamisme ont longtemps été pour le moins minorés, quand ils n’étaient purement et simplement niés. La libération de la parole des enseignants que tous les démocrates constatent concernant l’entrisme de l’islamisme à l’école est possible grâce à quel outil ? Les réseaux sociaux !
La chappe de plomb que certains ont voulu imposée est en train de se fissurer et c’est en partie grâce aux photos, aux vidéos, aux témoignages (le plus souvent anonymes), aux déclarations de « lanceu rs d’alertes » que relayaient les réseaux sociaux. Ces faits ont ensuite peu à peu été repris par les médias, en particulier les chaînes de télévision d’informations en continu. Finalement, c’est l’ensemble des médias français et, en bout de chaîne, la classe politique qui ont retrouvé un peu de courage.
Les réseaux sociaux, mis sous pression au risque de voir leurs responsabilités engagées, vont censurer de manière quasi-systématique tous les messages concernant l’islam ou l’islamisme de manière préventive : photos, vidéos, commentaires et le problème va une nouvelle fois disparaître de l’espace public. Rien n’aura été fait concrètement pour lutter contre, mais plus personne ne pourra en parler ni le dénoncer.
Vous aviez à plusieurs reprises accusé les partisans de cette loi d’arrière-pensées politiques. Quel est l’avis des plateformes numériques à ce sujet ? Y a-t-il une offensive conjointe contre la liberté d’expression ?
Malheureusement les faits sont têtus et lorsqu’on les observe froidement, on arrive à la conclusion qu’Emmanuel Macron, son gouvernement et sa majorité ont vraiment un problème avec la liberté et plus particulièrement la liberté d’expression.
Si la loi du 22 décembre 2018 contre la manipulation de l’information, couramment appelée « loi anti-fake news », visant à lutter contre les diverses formes de diffusion intentionnelle de fausses nouvelles a ouvert le « bal de la censure », l’orchestre n’a depuis jamais cessé de jouer. Lors de ses vœux à la presse le 15 janvier dernier, le président de la République a déclaré de manière stupéfiante : « Nous sommes confrontés à la lutte contre les fausses informations, les détournements sur les réseaux sociaux. L’éducation reste le fondement de cette lutte. Il nous faut donc pouvoir répondre à ce défi contemporain, définir collectivement le statut de tel ou tel document ». Comme si la vérité en politique était incontestable, certaine et non sujette à débat…
En pleine première vague de la Covid-19, est apparue l’initiative gouvernementale incroyable visant à imposer une plateforme de « ré-information » ou de « validation » des informations jugées fiables publiées dans les médias ou sur les réseaux sociaux au sujet de la crise sanitaire baptisée « Désinfox coronavirus ». Heureusement, cette initiative a fait long feu. Ensuite, il y a eu la « loi Avia », dont le contenu a heureusement été quasi-intégralement censuré par le Conseil constitutionnel.
C’est maintenant le Premier ministre Jean Castex qui plaide pour une « régulation beaucoup plus forte » des réseaux sociaux comme si les réseaux sociaux étaient responsables de l’islamisme ou de la radicalisation. Quel virage à cent-quatre-vingts degrés depuis les printemps arabes où les réseaux sociaux étaient de manière unanime reconnus comme les vecteurs de libertés ayant permis d’organiser les manifestations et de contourner les médias officiels et la censure !…
Il faut bien noter que cette tendance lourde à réduire la liberté de tous pour lutter contre les déviances de quelques-uns est souhaitée et organisée en concertation avec les principaux réseaux sociaux. Le 28 janvier 2019, Nick Clegg, directeur des affaires publiques de Facebook, expliquait déjà que la diffusion de publicités de nature sociale, électorale ou politique sera désormais accompagné d’une mention « payé par » pour les partis politiques.
Ces mesures visent également les débats de société comme l’immigration, la fiscalité, l’islamisme, la GPA, la PMA,… , qui ne font pas directement la promotion d’un parti ou d’un candidat, mais qui tendent à promouvoir des thématiques pour influencer le débat politique. De l’aveu même de Nick Clegg, le fait que Facebook étende la transparence aux publicités sur des thèmes de société est inspiré directement des exemples de régulation français.
En poursuivant dans cette direction, on risque de passer d’un droit fondamental à la liberté d’expression pour tous les Français à une régulation des débats et la définition commune de la « vérité » sous le « contrôle » ou l’« impulsion » du gouvernement. C’est effectivement très inquiétant.