27 novembre 2020 • Opinion •
Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste, membre du groupe de travail Famille de l’Institut Thomas More, est également expert agréé pour l’adoption auprès des départements de Seine-Saint-Denis et du Morbihan. Il estime que la future proposition de loi vide encore un peu plus l’adoption de l’essentiel pour sécuriser un enfant.
Le projet de loi en prochain débat parlementaire va-t-il insécuriser un peu plus l’adoption, à la raison affichée par son rapporteur le député Monique Limon, de la « déringardiser » ? L’oriflamme affichée de répondre à « l’intérêt supérieur de l’enfant » est fallacieuse, véritable imposture ; il omet que cet enfant qui n’a pu devenir l’enfant de ceux qui lui ont donné naissance, est plus encore que tous les autres enfants dans le besoin d’établir sa raison d’être au monde depuis une cohérence symbolique de sa venue dans sa famille.
C’est pourquoi l’adoption plénière votée en 1966 avait prévu que les parents adoptants forment un couple dont la relation porte l’enfantement, même non concrétisé du fait d’un aléa organique, afin qu’elle forme le socle fondant la vie psychique de l’enfant, établissant sa place comme fils ou fille de ses parents. Aussi la loi réserva l’adoption aux seules unions témoignant de partager l’enfantement, donc celle d’un homme et d’une femme en âge de procréer et rendant crédible leur motivation lors d’un processus d’agrément. Le mariage était une condition requise (la possibilité d’adopter « en tant que personnes seules » fut conservée aux « marraines de guerre » par un amendement censé être de court terme) : c’est que le mariage était compris en sa fonction de préparer un couple à la mutation symbolique majeure qu’est le fait de devenir parents. L’adoption fut ainsi établie comme une filiation en une cohérence repérable pour l’enfant, dans la même dynamique familiale que pour tout enfant.
Ces fonctions symboliques ont entre-temps été ignorées par la loi de 2013 « ouvrant à tous » le mariage et l’adoption : elle a insécurisé l’adoption en abolissant de son principe la filiation cohérente qui régule le lien parent-enfant. Une personne seule ou une union de même sexe peuvent aimer l’enfant mais, rendant son enfantement inconcevable, le privent du socle filiatif cohérent établissant sa raison d’être.
L’incompréhension de cette distinction est illustrée par la dispense d’agrément que le projet de loi préconise d’accorder aux familles d’accueil candidates à adopter l’enfant qui leur a été antérieurement confié par l’Aide Sociale à l’Enfance ; c’est négliger que devenir alors parent de cet enfant engage un statut différent, avec des processus régulateurs d’un tout autre ordre de la relation à cet enfant dès lors devenu leur enfant.
Une famille d’accueil la mieux attentionnée s’occupe de l’enfant grâce au contrôle des équipes de l’ASE, elles-mêmes placées sous le contrôle du juge, condition pour s’occuper d’un enfant qui n’est pas le leur, mais s’en occupant comme s’il l’était. Être parent relève d’un autre processus de régulation du lien : les interdits familiaux découlent du lien de transmission qui fait aux parents muer leurs pulsions sexuelles en simple tendresse propice à l’épanouissement de l’enfant, et leurs pulsions agressives en simple fermeté propice à son éducation ; ce processus puise à la relation qu’ils eurent jadis comme fils et fille de leurs propres parents, il les fait devenir parents en relais et une forme d’hommage à ce que ceux-ci firent jadis pour eux, même avec la part d’incompréhension qui en fit partie.
Les conseils de famille n’ignorent pas qu’un parent seul ou qu’une union de même sexe peut offrir à l’enfant une attention chaleureuse ; mais ils perçoivent, sans doute intuitivement, qu’elles le privent de la sécurisation du lien découlant d’une filiation crédible en laquelle il se retrouve.
Le projet de loi vide encore un peu plus l’adoption de l’essentiel pour sécuriser un enfant pourtant fragilisé par son abandon antérieur.