Logements sociaux · L’État ne sait plus que surveiller et punir les maires

Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l’Institut Thomas More

15 décembre 2020 • Opinion •


Les propos d’Emmanuelle Wargon, ministre du Logement sont une nouvelle preuve du dirigisme sermonneur de cet exécutif que l’on prétendait libéral, déplore Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l’Institut Thomas More.


Le mandat du président de la République est aujourd’hui plus qu’à demi accompli. L’arbre du macronisme peut donc être jugé à ses fruits. Son exercice quotidien du pouvoir, son pilotage de la crise sanitaire, sa réponse à la crise économique le donnent à voir pour ce qu’il est : un étatisme technocratique, raide et sûr de lui, ignorant les corps intermédiaires et ayant besoin, pour se déployer, d’une société française passive, attendant les solutions d’en-haut, bonne à appliquer les consignes : assujettie, en un mot. Lorsque tel ou tel renâcle, s’oppose ou traîne des pieds, il se raidit, s’agace et menace.

La passe d’arme en cours entre Emmanuelle Wargon, ministre du Logement, et certains maires constitue un exemple presque chimiquement pur de cette attitude catégorique et péremptoire. Annonçant la semaine passée sur RTL vouloir « casser les ghettos » et relancer la construction de logements sociaux, elle s’en est prise aux maires qui n’en accueillent pas assez dans leur commune et payent une amende en contrepartie, comme le prévoit la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain (dite loi SRU). « Pour la première fois, on va sanctionner plus de la moitié des communes qui ne respectent pas » l’objectif de construction de logements sociaux, menace le ministre, qui ajoute : « Il faut être ferme : les maires ne peuvent pas choisir que les logements sociaux c’est bien (sic), mais pas chez eux ».

Cette sommation, qui a fait réagir les maires pointés du doigt par Emmanuelle Wargon – maires de Toulon, de Cannes, de Boulogne-Billancourt, de Neuilly-sur-Seine ou encore de Saint-Maur-des-Fossés – ne concerne pas que les élus. Elle mérite l’intérêt de tous les citoyens tant elle illustre la manière propre à cet exécutif, qui mêle toujours, dans des proportions certes variables, le dirigisme et l’illusion bureaucratique, la défiance à l’égard de tout autre acteur que lui-même, la menace contre ce qui lui résiste et l’aveuglement devant le réel.

 

Jamais l’administration et la haute fonction publique n’ont autant dominé l’État et pesé sur le pays qu’en ce quinquennat prétendument réformateur.

 

Le dirigisme d’abord. Il convient de rappeler que la loi SRU est l’une des calamités héritées des années Jospin et de sa majorité socialiste. Elle proclame un objectif de « mixité sociale » à atteindre par l’imposition de règles rigides et uniformes à toutes les communes de France et fait du logement social la fin de toute politique du logement. Aggravée par la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (dite loi ALUR), elle a contribué à figer la dite-politique dans un immobilisme extrêmement coûteux et inefficace et à nécroser un marché de la construction follement encadré. Résultats : il manque plus d’un million de logements en France, le coût du logement est de 15% plus élevé qu’en Allemagne et le mal-logement ne cesse de s’aggraver. La loi SRU est en cela un comble de la vue du monde bureaucratique, qui passe les êtres et les choses à la toise et croit que dire, c’est faire. Le « nouveau monde » qui, il est vrai, prétend combattre la crise économique avec des « sous-préfets à la relance », n’y voit manifestement rien à redire. Jamais l’administration et la haute fonction publique n’ont autant dominé l’État et pesé sur le pays qu’en ce quinquennat prétendument réformateur.

La défiance ensuite. Techniciens de l’État, les hommes et les femmes aujourd’hui au pouvoir voient les collectivités territoriales et leurs dirigeants davantage comme des gêneurs que comme des partenaires. La gestion de la crise sanitaire en a donné l’illustration : hors du directeur général de la santé, de l’agence régionale de santé et du préfet, point de salut. Depuis le début de son quinquennat, Emmanuel Macron a multiplié les rendez-vous manqués avec les collectivités territoriales. Le local, pourtant le dernier espace de confiance dans notre pays, est pour lui une terra incognita. Le macronisme retourne en quelque sorte la « société de défiance » décrite il y a plus de dix ans par les économistes Pierre Cahuc et Yann Algan : initialement ascendante, des gouvernés vers les gouvernants, la méfiance se fait avec lui descendante.

 

Le macronisme retourne en quelque sorte la « société de défiance » décrite il y a plus de dix ans par les économistes Pierre Cahuc et Yann Algan : initialement ascendante, des gouvernés vers les gouvernants, la méfiance se fait avec lui descendante.

 

Un tel pouvoir s’agace vite des résistances et en vient aisément aux menaces et aux punitions. Aux communes qu’il incrimine publiquement, le ministre promet amendes et interventions du préfet dans l’attribution des permis de construire. Comme l’a montré le maire de Neuilly-sur-Seine Jean-Christophe Fromantin dans sa réponse à Emmanuelle Wargon, ça n’est pourtant pas si simple. L’État n’a pas fait mieux que les communes ces dernières années. L’application de la loi SRU est particulièrement complexe et certaines conditions locales (rareté du foncier disponible, coût de l’immobilier, etc.) peuvent expliquer la situation.

Mais, on le sait, l’enfermement bureaucratique et la défiance ne favorisent guère la perspicacité et conduisent au contraire à l’aveuglement face au réel. Il est en effet instructif de voir Emmanuelle Wargon chanter les louanges de la loi SRU et faire manifestement siens les présupposés idéologiques et la vision sociale qui ont présidé à son adoption. Or, ces présupposés et cette vision sont faux et même nocifs quand ils prétendent que la « mixité sociale » se réalisera par l’extension sans fin du logement social. La « mixité sociale » est un sous-produit du multiculturalisme, auquel la gauche s’est progressivement convertie ces dernières décennies et qui appartient à la grammaire sociale du macronisme – malgré sa récente et opportune « conversion républicaine ». Les propos tenus par le président de la République devant les caméras du média en ligne Brut décilleront peut-être ceux qui ne veulent pas le voir.

En s’en prenant comme elle l’a fait à des maires, Emmanuel Wargon a déclenché une polémique à laquelle elle ne s’attendait peut-être pas. Polémique significative de l’état d’esprit des hommes et des femmes aujourd’hui au pouvoir. Tenant entre les mains les manettes de l’État, ils semblent le croire seul légitime à agir, voire (comble de l’aveuglement) seul efficace. Cette concentration étouffante du pouvoir est malsaine pour notre pays. Car, au-delà des élus incriminés, elle lui fait courir le risque de voir s’affaiblir, encore un peu plus qu’ils ne le sont déjà, l’engagement local, privé, associatif, les initiatives de terrain, les liens immédiats de solidarité : bref, tout ce par quoi tient encore notre société en miettes.