17 février 2021 • Entretien •
Une décennie après le soulèvement qui s’inscrivait dans la lignée des Printemps arabes, rien n’est résolu. La Libye continue à s’enfoncer dans les abîmes. État des lieux de la situation libyenne avec Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More.
Que peut faire la communauté internationale actuellement contre les ingérences étrangères en Libye ?
Tout d’abord, il faudrait se poser la question de savoir s’il y a une communauté internationale ? C’est une expression que l’on utilise fréquemment, mais si on prend le Conseil de sécurité des Nations unies avec les cinq membres permanents, le fait est qu’ils sont passablement divisés et que la Russie, qui est membre permanent de ce Conseil de sécurité, fait partie des puissances qui s’ingèrent dans cette affaire. Donc, au regard de cette quasi-guerre froide entre les Occidentaux d’un côté et les Russes et les Chinois de l’autre, il semble extrêmement difficile de constituer une unité internationale solide qui puisse soutenir une solution politique, diplomatique et militaire durable en Libye.
La présence militaire de la Turquie et de la Russie, aujourd’hui, en Libye n’est-elle pas la conséquence directe des divisions des Européens ?
Ces deux pays d’abord ont leur politique propre, sont animés par une véritable volonté de puissance, ont l’idée que leur heure est venue, qu’il s’agit de prendre le relai des Occidentaux dans différentes parties du monde. Ce ne sont pas uniquement des puissances réactives qui se contenteraient de réagir à ce que font ou ne font pas les Occidentaux. Cela dit, c’est vrai, il y a une division européenne sur la question, notamment entre les Français et les Italiens, qui ne se sont pas parvenus à s’accorder sur la politique qu’il fallait mener en Libye après le renversement de Kadhafi. Et puis, d’une manière générale, les pays européens, plus largement les Occidentaux n’ont certainement pas accordés suffisamment d’intérêt à ce qui se passait en Libye. Ce qui a été particulièrement négligé, notamment par les Français malheureusement, ce sont les projets du maréchal Haftar. On lui conseillait une solution politique, on le prenait au sérieux, alors que lui avait une volonté manifeste de conquérir la totalité du territoire libyen et de se poser en un nouveau Kadhafi.
Un nouvel engagement américain en Libye pourrait-il aider à stabiliser ce pays ?
Il est vrai que les États-Unis, sous Donald Trump, ce sont désintéressés de la chose. Donald Trump a adopté une attitude transactionnelle : en gros, tant que le pétrole coulait et que le général Haftar tapait sur les cellules de l’État islamique, il s’en contentait. C’était un réalisme à courte vue qui manquait de sens des réalités. Aujourd’hui, il faut espérer que les États-Unis soient plus affirmatifs, si je puis dire, aussi bien en Libye qu’en Méditerranée. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’heure a sonné d’une division du travail entre les alliés, entre les Occidentaux. Et les États-Unis considèrent que cette approche géographie de l’Europe dépend avant tout de l’action diplomatique, voire de l’action militaire des alliés européens. Et finalement, c’était ce qui s’était passé en 2011, lors de la guerre qui a été menée à l’effondrement du régime de Kadhafi. Malgré leurs réticences bien réelles, les États-Unis avaient soutenu l’opération. C’était sous l’administration Obama et ils avaient adopté ce qu’on appellait alors le leadership by behind. En gros, il s’agissait de laisser faire autant que possible les alliés européens afin que les États-Unis – qui étaient déjà engagés sur le front irakien, qui étaient engagés et le sont toujours sur le front afghan – ne dispersent pas leurs efforts militaires.
Une proposition internationale, harmonieuse, vis-à-vis du dossier libyen vous semble telle plus que jamais nécessaire pour une sortie de la crise aujourd’hui ?
Cela renvoie à la question antérieure, y a-t-il une communauté internationale ? Les pays membres du Conseil de sécurité sont passablement divisés. Sur place, les Turcs comme les Russes se sont enracinés, on peut considérer qu’il y a une sorte de condominium russo-turc sur la Libye. Il ne faut pas penser que se sont uniquement des prises de position diplomatiques ou le soutien occidental à l’ONU qui suffiront à déloger les Turcs et les Russes des positions qu’ils ont pu accaparer en Libye.
En dix ans, la révolution n’a pas pu parvenu à ce but, au contraire, le pays baigne dans le chaos total, ce sont les pressions internationales finalement qui ont conduit à l’accord politique récent. Changer l’exécutif vous semble-t-il suffisant pour avancer et organiser des élections ?
Non, ça ne sera certainement pas suffisant. Il faut que la pression internationale continue, il faut qu’il y ait un véritable effort diplomatique derrière. Mais ce qui m’inquiète au-delà, c’est le fait que les puissances qui soutiennent le plus cette tentative, n’ont pas de véritable levier sur place. Encore une fois, ce sont les Turcs, les Russes qui ont le véritable levier puisqu’ils s’y sont implantés, y compris sur le plan militaire. Ce ne sont pas uniquement des pressions diplomatiques extérieures qui suffiront à déterminer une autre logique. En fait, on a un condominium russo-turc aux portes méridionales de l’Europe.