28 mars 2021 • Chronique •
La réalité est parfois cruelle : non seulement les États-Unis viennent de retrouver leur niveau de PIB d’avant la crise, mais ils entendent aussi doper leur croissance à venir. Ils le font grâce à un aggiornamento complet de leur « policy mix » (politiques économiques budgétaires et monétaires) que les Européens, engoncés dans leurs dogmes, peinent à comprendre…
Si on considère la question du soutien à l’économie durant la crise sanitaire à proprement parler, il faut s’extirper des lieux communs sur le « quoi qu’il en coûte », formule politicienne qui ne résiste pas à l’examen. Quand, en 2020, les États-Unis ont dépensé 10% de leur PIB (alors que les mesures sanitaires ont été beaucoup plus légères), en soutenant largement les ménages, la France a mobilisé 5% de son PIB seulement, et rien en direction spécifique des ménages. Si cela peut paraître dispendieux du fait de la situation des finances publiques pré-crise (endettement déjà élevé, dépense publique non contrôlée), nous avons été en retard même sur les vertueux allemands.
En 2021, la situation face aux Allemands s’inverse car la crise sanitaire perdure, mais les Américains viennent d’annoncer un plan de 1 900 milliards de dollars : au total, d’ici la fin de l’année, l’effort durant la crise aura été de presque 20% du PIB. Si le soutien aux commerces fermés par décision des pouvoirs publics (une juste indemnité et non une aide) a été massif, les populations européennes n’ont pas reçu d’aides directes comme les ménages américains. Ces derniers, sur fonds d’aides et de reprise économique, enregistrent un pic de leur pouvoir d’achat jamais atteint depuis 1999. Et grâce à l’épargne accumulée pendant la crise (excédent d’épargne très rare dans une culture américaine où chacun pense rapidement trouver un emploi), ce pouvoir d’achat aura un fort soutien au cours des dix prochains mois.
A la fin de l’année, le PIB de la zone euro aura dépassé de 1,7% son pic pré-crise, alors que les États-Unis seront 9% dessus : non seulement les stigmates de la crise sont déjà effacés, mais les États-Unis dépassent largement leur trajectoire de pré-crise alors que les Européens n’arrivent pas à renouer avec cette tendance. Le cas de la France est encore plus alarmant, puisque le PIB de pré-crise ne devrait pas être atteint avec le second trimestre 2022.
En réalité, les États-Unis ne se contentent pas de compenser les effets de la crise du Covid. Une bonne crise n’étant jamais perdue, cet épisode malheureux est venu cristalliser, solidifier, valider des changements dans la pensée économique et politique à l’œuvre ces dernières années, visibles dans les déclarations de Yellen, Powell, Trump et Biden : le nouveau consensus transpartisan est que le taux de croissance relativement faible des années 2000 est inacceptable pour la première puissance mondiale.
Une stagnation séculaire, des politiques déflationnistes, une modération salariale, ne sont pas à la hauteur des enjeux. Les États Unis ont bien appuyé sur le bouton reset de leur économie et ne sont pas déterminés à voir les Chinois (qui n’ont pas hésité à faire de l’expansion rooseveltienne à tout crin depuis vingt ans tout en utilisant la mondialisation comme un passager clandestin) les dépasser en 2028, comme cela était annoncé et écrit partout. Ils ajoutent donc aux mesures de soutien à l’économie durant la crise sanitaire un futur plan de 3 000 milliards dédié aux infrastructures, à l’éducation et à la santé, pour le reste de la décennie.
A ce stade, les Européens ont du mal à finaliser et à lancer leur premier plan de relance post-Covid. Ce plan s’apparente d’ailleurs davantage à un soutien à la dépense publique normale qu’à un vrai plan d’investissement de long terme. Un total d’aides directes de 390 milliards, avec un impact pour la France de 0,75% par an à partir, au mieux, du deuxième semestre 2021 : c’est probablement assez pour maintenir notre État-Providence mais pas pour élever durablement notre croissance.
Au cours de la décennie qui s’ouvre, le risque est désormais réel de voir se creuser de manière irréversible l’écart entre la zone euro et les États-Unis, déjà caractéristique des années 2000. Il serait triste de voir deux zones de forte croissance (États-Unis et Asie) prendre le large pendant que l’Europe resterait condamnée à la croissance molle, par manque d’audace et d’ambitions de ses dirigeants.