16 juin 2021 • Entretien •
La fraude au chômage aux États-Unis pendant la pandémie pourrait facilement atteindre 400 milliards de dollars, selon certaines estimations. Comment expliquer ce phénomène ? Quelle a été la réalité en France ? Les indemnisations et le principe du chômage partiel ont-ils pu être détournés de manière abusive ?
Le principal souci des autorités, au début de la crise sanitaire, a été de s’assurer que l’argent pourrait parvenir rapidement à ceux qui en auraient besoin. Aux États-Unis, les allocations chômage ont été considérablement augmentées et leur processus d’attribution simplifié. Le gouvernement anticipait un certain montant de fraudes (3-4% des sommes) comme un mal nécessaire mais certainement pas 400 milliards détournés, ce qui me paraît excessif (un tiers des sommes…). La fraude réelle (la création d’entités vides pour détourner de l’argent) reste anecdotique mais les effets d’aubaine et les comportements opportunistes sont plus préoccupants.
En France, le chômage partiel était si automatique dans certains cas que la tentation de mettre tout le monde en chômage partiel fut grande. Sur un coût de 30 milliards, le ministère du Travail estime que seuls 225 millions ont été détournés. Au plus fort de la crise ? Neuf millions de salariés furent concernés par ce phénomène::les syndicats et une commission de l’Assemblée nationale estiment que la fraude réelle a largement dépassé ce chiffre… angélique.
Comment ces mécanismes de fraudes se mettent-ils en place concrètement ? Qui a pu en « bénéficier » frauduleusement ? Des grandes entreprises ou certains grands groupes ont-ils pu être concernés ?
En France on a eu plusieurs variantes : certaines entreprises sans salariés déclarés à l’URSSAF ont subitement déclaré des salariés pour toucher ce chômage partiel. D’autres ont reçu des sommes sans justificatif de domicile pour ensuite les envoyer dans d’autres pays. Au plus fort de la crise, il n’y a eu aucun contrôle et les services de l’État ont été dépassés. Il y avait tant de critiques sur l’inaction du gouvernement que le tonneau des Danaïdes a été subitement lâché en mai 2021 sans structure de contrôle. Ce sont essentiellement de petites structures, en lien avec l’Europe de l’Est ou le Maghreb, qui ont bénéficié des vraies fraudes. Les grands groupes ont plus été dans la logique d’effet d’aubaine, attendant la sortie de crise sanitaire sans licencier grâce à l’argent de l’État.
La politique déployée par le chef de l’État, le « quoi qu’il en coûte », a-t-il pu entraîner des abus ou pousser à la fraude ? L’administration française ou les instances de contrôle ou Pôle emploi pourraient-elles déceler ces mécanismes ou ces tentatives frauduleuses qui sont parfois de plus en plus en plus ingénieuses (même via le dark web) ?
Pôle Emploi ne fonctionne pas correctement en temps normal et n’arrive pas à contrôler les chômeurs, alors comment lui demander d’être efficace quand le discours officiel est de distribuer le plus d’argent possible sans contrôle ? Ce n’est pas Pôle Emploi qu’il faut incriminer, non plus que les services de l’administration qui ne peuvent cibler l’économie souterraine ou les génies du web qui mettent en place ces dispositifs. Quand on regarde l’étranger et les rapports plus réalistes sur la situation aux États-Unis ou en Allemagne, 5% des sommes distribuées sont en moyenne détournées en temps de crise (et 2-3% en temps normal) : on peut donc estimer à environ 1 milliard la perte sèche additionnelle due à ces dispositifs – sachant, je le répète, que Pôle Emploi et le RSA perdent déjà au moins un milliard par an au profit des fraudes en temps normal.
Ces fraudes et ces dérapages peuvent-ils nuire au système global, au principe traditionnel d’indemnisation pour l’avenir ?
Cela fragilise l’État-Providence et accrédite les thèses de ses critiques, dont je fais partie. Au lieu de rationaliser ses aides et de les focaliser sur les plus démunis, les plus dans le besoin, ces aides automatiques et indiscriminées ne sortent pas les gens de la trappe à pauvreté et encourage la fraude, comme l’ont bien compris nombre d’acteurs de nos zones de non-droit, et désormais certaines mafias en lien avec le Maghreb ou l’Europe de l’Est.