16 juillet 2021 • Opinion •
Le 12 juillet, Emmanuel Macron a annoncé l’extension du pass sanitaire aux espaces de loisir, où il faudra bientôt présenter un QR code. Cette décision s’inscrit dans une dynamique de traçage numérique et de privation de libertés, déplorent Jean-Thomas Lesueur et Cyrille Dalmont.
Il est des dates qui font époque. Le 12 juillet 2021 sera de celles-là. En annonçant son extension à de très nombreux lieux qu’habite notre vie courante et en affirmant si brutalement qu’il entend « faire porter les restrictions sur les non vaccinés plutôt que sur tous », Emmanuel Macron fait du pass sanitaire la condition nécessaire à l’exercice de nos libertés d’aller et venir, de travailler et de nous réunir.
Au nom de l’impératif sanitaire, il met la santé publique et les libertés fondamentales dans la balance et privilégie sans grand débat la première. Adoptant la posture du chef qui montre le chemin, il récuse toute expression du doute et de la nuance. Il ignore superbement le sage conseil de Montesquieu qui invitait les gouvernants à ne toucher la loi « que d’une main tremblante ». Les contre-pouvoirs sont aux abonnés absents, le parlement une nouvelle fois humilié.
Il est spectaculaire et, hélas, significatif que l’État puisse se doter d’un instrument de traçage numérique de la population française si facilement. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Nous voulons nous adresser ici à tous ceux qui croient ou prétendent que « ce n’est pas si grave », que le pass sanitaire ne durera que « le temps d’un été », qu’il est « respectueux de nos données personnelles ». En rétablissant quelques données factuelles et en rappelant dans quelle dynamique de restriction des libertés fondamentales nous sommes engagés en France comme en Europe, nous espérons les convaincre de la gravité de la décision du président de la République.
Quelques éléments techniques sur le fonctionnement du pass sanitaire tout d’abord. Le gouvernement répète que l’application « TousAntiCovid » est respectueuse de la vie privée des utilisateurs puisqu’elle « ne stocke que l’historique de proximité d’un téléphone mobile et aucune autre donnée ». Cette présentation – qui a reçu l’aval du Conseil d’État au motif que les données sont stockées localement et que l’utilisation de l’application est facultative – est factuellement fausse. Car, si le QR code est effectivement stocké en local sur un smartphone (ou sur une feuille de papier), il devient actif dès qu’il est scanné. C’est sa vocation même ! Une application de tracking et de Back tracking (identification des relations interpersonnelles) ne fonctionne pas autrement et les informations recueillies sont alors stockées dans des bases de données distantes.
Pour pénétrer plus avant dans le QR code, il convient d’ajouter qu’il peut contenir jusqu’à 177×177 éléments (soit 4 296 caractères alphanumériques, une demi-page de texte A4 environ) ou 7 089 chiffres décimaux. Mais surtout il est possible de lui faire générer plusieurs liens html qui, une fois activés par un smartphone, sont autant de traceurs potentiels de l’activité de son utilisateur. On peut donc difficilement nier que l’État s’est bel et bien doté d’un outil lui permettant de connaître les allers et venues et la position géographique des citoyens. C’est un fait. Selon les chiffres des autorités, on comptait 17,5 millions d’activations de l’application « TousAntiCovid »au 2 juin dernier.
Mais peut-être plus important encore, il convient de prendre la mesure de la dynamique dans laquelle le pass sanitaire s’inscrit. En effet, la crise sanitaire que nous vivons, si grave soit-elle, n’explique pas à elle seule le développement accéléré des outils de surveillance numérique auquel nous assistons passivement. Nous vivons, depuis les années 1990, un insidieux mais permanent grignotage des libertés publiques et de nos droits fondamentaux, avec le renforcement constant de « politiques sécuritaires » en tous genres, toujours plus restrictives des libertés fondamentales (mais rarement efficaces au regard de l’objectif affiché). Les lois, ordonnances, décrets contre l’insécurité, le terrorisme, l’immigration de masse, le blanchiment d’argent, la fraude fiscale ou plus récemment les fake news et les « contenus haineux » sur Internet se comptent par dizaines depuis trente ans. François Sureau a magistralement, et tristement, dénoncé ce mouvement continu.
Rappelons que la France a vécu pendant deux ans (du 14 novembre 2015 au 1er novembre 2017) sous le régime de l’état d’urgence et ensuite sous le régime de l’état d’urgence sanitaire du 17 octobre 2020 au 1er juin 2021, rendant possible la mise en sommeil « prolongé » de nombreuses libertés publiques.
Ce contexte a rendu possible, sans susciter une grande émotion, l’adoption en février 2020 du fichier « GendNotes » qui permet à la gendarmerie nationale de saisir, conserver et traiter des données « relatives à la prétendue origine raciale ou ethnique, aux opinions politiques, philosophiques ou religieuses, à l’appartenance syndicale, à la santé ou à la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle ». Ainsi que les trois décrets le 2 décembre 2020 permettant aux services de police et de gendarmerie de recueillir de nouvelles données personnelles concernant des individus considérés comme dangereux pour la « sécurité publique ». Parmi ces nouvelles données personnelles collectées, chose totalement inenvisageable dans notre pays il y a peu, on trouve les « opinions politiques », les « convictions philosophiques ou religieuses », « l’appartenance syndicale » et certaines données de santé.
Mais il faut aller plus loin encore. Cette tendance lourde s’inscrit dans un contexte européen hélas convergent. Le 16 avril 2019, le Parlement européen a adopté sur proposition de la Commission le Common Identity Repository qui sera accessible à l’ensemble des services de douane et de police des pays membres de l’Union européenne et qui comportera les données d’identité biométriques d’environ 400 millions de citoyens, européens comme non-européens. Rappelons encore qu’en mars 2020, le Comité européen de la protection des données (CEPD) a levé l’interdiction sur l’échange et le traitement des informations personnelles des citoyens membres de l’Union européenne dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, rendant de facto caduc le RGPD en matière de santé.
La Commission européenne a également souhaité rendre interopérable toutes les applications de traçage numérique misent en place par les différents États membres pour arriver à l’émergence d’un passeport vaccinale numérique européen. Gageons que le « pass sanitaire européen » viendra bientôt se superposer au Common Identity Repository, créant ainsi un passeport biométrique européen.
Ces précisions et ces rappels permettent de prendre la mesure de ce qui se joue avec l’extension du pass sanitaire. La recherche de l’équilibre entre sécurité et libertés est bien sûr un art difficile – mais telle est la charge des gouvernants. Dans un contexte déjà sombre pour les libertés fondamentales, Emmanuel Macron fait un choix net et significatif pour le monde qui vient. Le 12 juillet 2021 est un jour sombre pour ceux qui, à l’imitation d’Albert Camus, ont encore le « souci » de la liberté.