28 août 2021 • Chronique •
Pour les investisseurs internationaux, la lune de miel avec la Chine, redevenue un empire étatiste et antilibéral, a définitivement pris fin, juge Sébastien Laye, dans sa chronique bimensuelle à Capital.
Sous l’écume des jours et de l’actualité, on se doit toujours de repérer les vrais changements tectoniques, ceux qui vont affecter nos sociétés et nos économies pour des décennies, ces fameux « changements de paradigme », pour reprendre le mot de Thomas Kuhn. A cet égard, l’exponentielle ouverture et la montée en puissance de la Chine sur la scène du commerce international et des flux de capitaux, furent le fait majeur de la fin du siècle dernier et des premières années de l’actuelle. Or, la Chine est en train de changer, sous les coups de boutoir du trumpisme, de la crise du Covid, mais aussi des ambitions de ses dirigeants actuels, dont la vision s’éloigne de plus en plus du compromis de Deng Xiaoping avec le capitalisme occidental.
La Chine qui, après son adhésion à l’OMC, n’a eu de cesse de s’intégrer aux flux de capitaux mondiaux, est en train nolens volens de s’en découpler. Le phénomène a commencé avec la présidence Trump, qui a entravé nombre de projets d’investissements chinois aux États-Unis, mais il se poursuit avec l’Italie, qui résiste à la prise de contrôle économique larvée de la Sicile ou la résistance de pays africains. Seuls les pays les plus pauvres ou les plus dévastés sont désormais prêts à accueillir les Chinois.
La crise du Covid, émanant de Chine, a changé la perception de ce pays, jugé opaque par les investisseurs internationaux et a forcé le pouvoir de Beijing à se justifier et parfois à s’isoler de ceux qui le critiquaient sur la scène internationale, y compris les acteurs privés. Quel que soit l’intérêt des sociétés privées pour l’immense marché chinois, il demeure acquis que ce marché ne ressemblera jamais à un marché occidental classique. La reprise en main autoritaire du Xinjiang ou de Hong Kong, les velléités d’invasion de Taïwan, ont rappelé aux investisseurs la prévalence du risque géopolitique. Les investisseurs américains sont tétanisés quant à eux par l’émergence de la nouvelle guerre froide sino-américaine, et Biden a repris le logiciel trumpiste en la matière. Même les Européens s’inquiètent de la protection de leurs technologies face aux chinois.
Face à cette montée des tensions, Xi Jinping aurait pu temporiser ou chercher une voie médiane. Or il a choisi la fuite en avant, du moins en matière économique – pour l’instant : dans sa tentative de définition et de ciselage d’un capitalisme à la chinoise, il ne s’inscrit même plus dans le cadre de ce qu’on entend habituellement par « économie libre » (même si personne n’était dupe du fait que si l’économie paraissait libre auparavant, la société chinoise ne l’était pas). Il a fait le tri parmi les milliardaires chinois, clouant au pilori des entrepreneurs qui comme Jack Ma critiquaient le pouvoir, reprenant la main sur les sociétés financières ou immobilières du secteur privé, favorisant les affidés du pouvoir et détruisant les autres. Le monde a découvert qu’en Chine, loin du rêve entrepreneurial, fortunes et carrières étaient faites et défaites par les technocrates du Parti. Nul ne doit devenir trop riche et puissant au point de s’opposer au statu quo actuel.
On pensait que les GAFA chinois, les Tencent ou Baidu, étaient la fierté des politiques chinois, leur arme contre les GAFA américains. Il n’en est rien, ces sociétés trop puissantes ont fini par déranger le pouvoir qui, en s’en prenant à ces fleurons technologiques, a fait partir en fumée 1 500 milliards de dollars de capitalisation boursière en un été et s’est probablement tiré une balle dans le pied en matière d’innovation technologique. Car ce n’est pas l’État chinois qui est à l’origine de la remontée du pays en matière technologique et scientifique, mais bien des entrepreneurs locaux, ouverts sur le monde, occidentalisés, formés aux États-Unis.
En révélant la vraie nature de leur dessein politique, ces dirigeants ont fait fuir les capitaux occidentaux : or, si la Chine peut peut-être se considérer aujourd’hui assez forte pour se financer elle-même, historiquement ce sont les étrangers qui lui ont fourni ses circuits de financement. L’écroulement des capitalisations boursières chinoises vient aussi de ce que nombre d’ETF (trackers, fonds indiciels) ou de fonds mutuels américains ont quitté précipitamment le pays. Pire, traditionnellement, nombre de sociétés chinoises venaient chercher une cotation aux États-Unis, par prestige et pour avoir accès aux investisseurs américains domestiques. Or, le dirigeant de la SEC (U.S. Securities and Exchange Commission), Gary Gensler, a bloqué les dernières introductions en bourses de sociétés chinoises et remis en cause l’opportunité de futures cotations.
On ne mesure pas à quel point la libéralisation de l’économie chinoise a été liée à une imbrication avec les États-Unis. La rivalité politique entraîne un brutal découplage économique et financier. Bien évidemment, l’ampleur du marché chinois fait qu’il y aura toujours des Occidentaux tentés par une aventure commerciale chinoise. Mais le génie est sorti de sa boîte et pour les investisseurs internationaux, la lune de miel avec la Chine, redevenue un empire étatiste et antilibéral, a définitivement pris fin.