Prolongation du passe sanitaire · Qu’avons-nous fait de l’État droit ?

Cyrille Dalmont, chercheur associé à l’Institut Thomas More

1er octobre 2021 • Opinion •


Un projet de loi sera présenté le 13 octobre en Conseil des ministres pour maintenir l’utilisation du passe sanitaire par l’exécutif. Cyrille Dalmont regrette que ce type de mesure restrictive des libertés puisse s’appliquer sans véritable contre-pouvoir.


Lors de sa conférence de presse du 25 août dernier, Olivier Véran avait annoncé que le passe sanitaire pourrait être prolongé au-delà du 15 novembre « si le Covid ne disparaissait pas de nos vies ». Nous savons depuis hier que le gouvernement s’apprête non seulement à prolonger le sésame numérique gouvernemental mais également l’état d’urgence sanitaire jusqu’à l’été 2022. Un projet de loi sera présenté en ce sens le 13 octobre en Conseil des ministres et sans doute adopté dans la foulée par un Parlement docile. « Il faut se donner les moyens, pendant encore plusieurs mois, d’avoir la possibilité de recourir à des mesures, si c’est nécessaire, pour protéger les Français », a expliqué Gabriel Attal.

Cette phrase, non pas prononcée par le président de la République, le Premier ministre ou le ministre de la Justice, mais par le simple porte-parole du gouvernement, en dit long sur l’état d’esprit qui semble présider au sommet de l’État. La prolongation de mesures restrictives de libertés pour tous les Français, pour une durée de près d’un an et en pleine période d’élection présidentielle, se fait sans beaucoup de questions. On est loin de Montesquieu qui invitait la puissance publique à ne toucher aux lois que « d’une main tremblante ». C’est pourtant ni plus ni moins que l’État de droit et nos libertés qui sont en jeu, ainsi que l’évaporation de tout contre-pouvoir.

Notons d’abord qu’avec l’état d’urgence régulièrement reconduit, l’exécutif a goûté, si l’on peut dire, ou s’est accoutumé à tout le moins, aux « pleins pouvoirs » sans avoir besoin de recourir à la mise en œuvre de l’article 16 de la constitution. Le recours systématique au Conseil de Défense et de Sécurité National, créé par le décret du 24 décembre 2009, pour assurer la direction du pays depuis le début de la crise sanitaire, constitue également une anomalie institutionnelle grave, qui revient notamment à effacer à peu près le rôle du Premier ministre et du gouvernement.

Constatons ensuite la quasi-disparition du Parlement et de son rôle de contrôle. Le non-cumul des mandats, l’alignement de la durée du mandat des députés sur le mandat présidentiel et la jurisprudence européenne consacrant la primauté du droit européen sur le droit national, avaient déjà ravalé le Parlement au rang de simple chambre d’enregistrement. La méthode de gouvernement de cet exécutif achève le processus.

Rappelons enfin que l’alignement entamé dès le début de la crise sanitaire de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur celle classique du Conseil d’État relative aux « circonstances exceptionnelles » (à savoir que « l’existence de circonstances exceptionnelles est de nature à justifier des mesures qui seraient, dans des circonstances normales, considérées comme inconstitutionnelles »), est venu parachever la justification juridique de la neutralisation des contre-pouvoirs prévus par notre État de droit en période d’état d’urgence, quelle que soit sa nature. Le Conseil d’État a certes récemment réagi aux critiques en formulant des propositions visant à mieux encadrer la mise en œuvre des différents états d’urgence. Mais, loin de s’ériger en gardien des libertés, il se contente d’inviter à « l’élaboration d’un cadre global, à la fois juridique et opérationnel, destiné à renforcer l’efficacité de l’action des pouvoirs publics confrontés à des crises majeures tout en préservant les principes républicains ».

Il faut bien comprendre que c’est cet effacement de l’État de droit et la disparition des contre-pouvoirs politiques et juridiques qui ont permis d’imposer aux Français de vivre sous libertés conditionnelles en moins de 18 moins. Cela donne le vertige… Il aura en effet fallu moins de dix-huit mois pour passer d’une simple application de suivi de l’épidémie (facultative et basée sur le volontariat) à un Pass sanitaire, obligatoire de fait, et nécessaire à l’exercice de plusieurs de nos libertés fondamentales théoriquement inaliénables et constitutionnellement garanties : liberté d’aller et venir, droit à la vie privée et à l’intimité, droit à l’emploi (liberté du travail), liberté d’entreprendre (liberté du commerce et de l’industrie), liberté d’association, liberté de réunion, etc.

Ainsi l’exception devient-elle la règle. Et si le passe sanitaire n’est pour l’instant que « prolongé », on sait que son instauration définitive est dans bien des têtes. Dans celles par exemple des membres de la délégation à la prospective du Sénat qui appelaient en juin dernier à « la mise en place d’une plateforme sécurisée spécifique, qui ne serait activée qu’en temps de crise, et qui permettrait de centraliser les données utiles avant de les redistribuer aux acteurs qui en ont besoin pour remplir leurs missions : établissements de santé, sécurité civile, forces de l’ordre, collectivités locales, transports publics, prestataires, etc. ».

Cette recommandation montre à quel point cette idée de pérenniser et de banaliser le traçage numérique des Français s’installe dans les esprits. Tout récemment encore, Anne Genetet, député des Français de l’étranger et porte-parole du groupe LREM, a expliqué que le passe sanitaire « a été mis en place dans le cadre d’une loi d’urgence, et il a démontré son efficacité. Aujourd’hui, il pourrait rentrer dans le droit commun, comme le carnet de vaccination pour les enfants ou le permis de conduire, c’est-à-dire comme un outil qu’on doit avoir sous la main, et qu’on peut sortir en cas de besoin ».

Mais il y a pire encore. A l’instar de la technodictature chinoise, le gouvernement français semble se dire que pour pérenniser et banaliser le traçage numérique et clore le débat sur les technologies de surveillance, il faut en passer par la jeunesse. On nous reprochera, comme on l’a fait depuis des mois, ce rapprochement injurieux avec le « crédit social » chinois. Mais il faut rappeler que c’est en grande partie par le biais de la jeunesse chinoise et de son hyper-dépendance aux applications intégrées directement dans les réseaux sociaux, tel que le fameux Wechat, que le système a pu voir le jour.

Que fait d’autre le gouvernement en décidant que les mineurs âgés d’au moins douze ans et deux mois devront présenter un QR code pour accéder à certains lieux, comme les restaurants et les cinémas, mais également pour participer à certaines sorties scolaires ? Quel recule et quel esprit critique auront ces enfants habitués à utiliser banalement, quotidiennement, l’application « TousAntiCovid » (que la « novlangue » aura rebaptisé « PassLiberté » !), une fois devenus adultes ? Nous ne jetons la pierre à personne mais que les parents de ces enfants se posent la question. Nous vivons une bascule dont nos enfants sont les acteurs inconscients.