Commission Bronner contre les « fake news » · Un pas de plus vers un ministère de la Vérité  ?

Cyrille Dalmont, chercheur associé à l’Institut Thomas More

8 octobre 2021 • Opinion •


Cyrille Dalmont, chercheur associé à l’institut Thomas More, s’inquiète dans cette tribune de l’instauration par le président de la République d’une commission sur les fake news et le complotisme, qui fait suite à de nombreuses tentatives de la part d’Emmanuel Macron de contrôler l’information.


Emmanuel Macron vient de désigner le sociologue Gérald Bronner pour présider une commission dont le but est la lutte contre le complotisme et les fake news sur les réseaux sociaux. Elle aura pour mission d’ici la mi-décembre de « dévoiler une série de propositions concrètes dans les champs de l’éducation, de la régulation, de la lutte contre les diffuseurs de haine et de la désinformation ».

Il est bien certain que le gouvernement niera tout lien avec la future échéance présidentielle et la poussée vertigineuse d’Eric Zemmour. Mais le ton a été donné par Gérald Bronner lui-même sur RTL le 28 septembre dernier : « il y a un lien entre l’extrême droite et le complotisme. Un lien très fort. La science le montre d’une façon générale. Il y a un lien entre les radicalités politiques, pas seulement d’extrême droite, et le complotisme. Mais, il est vrai, il y a comme une asymétrie, en faveur de l’extrême droite sur ces questions ».

On s’étonnera de la composition de la commission Bronner, issue de la seule volonté présidentielle. On écarquillera les yeux à la lecture du communiqué de l’Elysée annonçant l’installation de la commission, titré : « Les Lumières à l’ère numérique, lancement de la commission Bronner ». Mais l’essentiel n’est pas là. Il est dans le constat que, si Emmanuel Macron est souvent moqué sur sa dialectique du « en même temps », il est un sujet sur lequel il est d’une parfaite constance depuis le début de son mandat : le contrôle de l’information et l’encadrement de la liberté d’expression. L’installation de la Commission Bronner n’est que la dernière d’une série d’initiatives qu’il convient de rappeler pour prendre la mesure de ce qui est en jeu.

C’est lors de la conférence de presse du 29 mai 2017, clôturant la visite de Vladimir Poutine à Versailles, que le président de la République ébaucha pour la première fois son idée d’outils de lutte contre les fakes news. On se souvient qu’il avait reproché à la chaîne de télévision RT France et à l’agence de presse Sputnik d’avoir propagé de fausses nouvelles pendant la campagne présidentielle de 2017: « Quand des organes de presse répandent des contrevérités infâmantes, ce ne sont plus des journalistes, ce sont des organes d’influence. Russia Today et Sputnik ont été des organes d’influence durant cette campagne, qui ont, à plusieurs reprises, produit des contrevérités sur ma personne et ma campagne », avait-il asséné.

Cette idée prit corps dans les mois suivants et, le 3 janvier 2018, lors de ses vœux à la presse, Emmanuel Macron annonça sa volonté « de faire évoluer notre dispositif juridique pour protéger la vie démocratique de ces fausses nouvelles », indiquant que « le contenu de ce texte serait détaillé dans les semaines qui viennent » : cela aboutira à la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information du 22 décembre 2018, dite « loi fake news ».

Le Conseil constitutionnel, fin 2018, a émis des réserves sur la notion de fausse information

Rappelons que la loi de 1881 sur la liberté de la presse permettait déjà de sanctionner les fausses nouvelles et que le texte définit une fausse information comme « toute allégation ou imputation d’un fait dépourvu d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable ». A l’aune de cette définition, la théorie de l’évolution, le fait que la terre soit ronde ou l’existence des microbes et des bactéries auraient été considérées en leurs temps comme des fakes news. Le texte crée également un nouveau référé visant, pendant les trois mois précédant une élection, à faire cesser la diffusion « d’allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir […] diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne ».

Heureusement, le Conseil Constitutionnel a rendu quasi inopérante la « loi fake news », dans sa décision du 20 décembre 2018, en émettant une réserve d’interprétation sur la notion de fausse information. Celle-ci ne peut s’appliquer qu’à « des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir. Ces allégations ne recouvrent ni les opinions, ni les parodies, ni les inexactitudes partielles ou les simples exagérations. Elles sont celles dont il est possible de démontrer la fausseté de manière objective […]. Seule la diffusion de telles allégations ou imputations répondant à trois conditions cumulatives peut être mise en cause : elle doit être artificielle ou automatisée, massive et délibérée ».

Mais cela n’a pas refroidi la résolution présidentielle qu’on retrouve comme un fil rouge dans plusieurs textes et initiatives dans la suite du quinquennat. Intention en quelque sorte théorisée par Emmanuel Macron lors de ses vœux à la presse le 15 janvier 2020 : « Nous sommes confrontés à la lutte contre les fausses informations, les détournements sur les réseaux sociaux. L’éducation reste le fondement de cette lutte. Il nous faut donc pouvoir répondre à ce défi contemporain, définir collectivement le statut de tel ou tel document ». Il faut avoir ces trois phrases à l’esprit pour analyser les ressorts communs des textes législatifs, projets de « réinformation » et autres collaborations croisées entre l’État et les GAFAM portés par l’exécutif et sa majorité.

La plate-forme gouvernementale « désinfox coronavirus », débranchée en urgence avant de réapparaître sur Facebook

En pleine crise du Covid-19, le gouvernement lança ainsi une plateforme de « ré-information » ou de « validation » des informations jugées fiables publiées dans les médias ou sur les réseaux sociaux au sujet de la crise sanitaire, baptisée « Désinfox coronavirus ». Fort heureusement, grâce au recours déposé en urgence par le Syndicat national des journalistes (SNJ) devant le Conseil d’État dénonçant une « atteinte grave et manifestement illégale portée aux principes de pluralisme dans l’expression des opinions et de neutralité des autorités publiques », elle fut retirée le 5 mai 2020. Mais il n’aura échappé à personne que, malgré l’intervention du Conseil d’État, elle a en quelque sorte été remplacée par l’application « Covid 19 centre d’information » sur Facebook…

Facebook, qui par le plus heureux des hasards, collabore avec le gouvernement français depuis janvier 2019 et a ouvert ses portes à une mission de fonctionnaires français (composée d’informaticiens, de préfets, de magistrats, de représentants du CSA et des ministères de I’Intérieur et de la Culture). Marlène Schiappa confirmera publiquement cette collaboration à l’antenne de RMC en mars 2019. Et Cédric O, secrétaire d’État au Numérique, se félicitera du fait que « les équipes Facebook ont vraiment joué le jeu » en avril… De l’aveu même de Nick Clegg, responsable des affaires internationales et de la communication de Facebook, le fait que le réseau social limite la viralité des publications concernant des thèmes de société (immigration, fiscalité, islamisme, PMA, GPA, etc.) est inspiré directement des exemples de régulation français en référence à la « loi fake news » voulue par Emmanuel Macron.

Puis vint dans la foulée la loi Avia visant à « lutter contre les contenus haineux sur Internet », premier projet porté par le gouvernement en sortir de confinement. Elle ambitionnait la pénalisation d’un sentiment, la haine : ce qui était juridiquement contestable et intellectuellement aberrant. Mais elle avait l’avantage pour l’exécutif de pouvoir contourner la décision du Conseil constitutionnel sur la loi « fake news » et permettre de pénaliser une opinion : n’ayant pas de définition juridique, un contenu haineux ne s’apprécie en effet qu’au travers de l’autorité administrative qui le contrôle. Une nouvelle fois, le Conseil constitutionnel fit son travail et censura, en juin 2020, entièrement ou partiellement pas moins de dix articles sur dix-neuf de la loi, la rendant de fait inopérante.

A l’issue de ce triste tour d’horizon, on constate que, même si le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont permis de limiter pour partie son impact, la résolution de l’exécutif à créer des outils de contrôle de l’information et de la liberté d’expression constitue une véritable constante du quinquennat. Emmanuel Macron ne désarme pas quant à son désir manifeste de trouver les moyens que l’État devienne le seul prescripteur légitime des termes du débat démocratique, celui qui pose les règles de définition de ce qu’est une information et ce qui ne l’est pas, de ce qu’est la vérité et ce qui ne l’est pas.

Cela revient à considérer qu’il existe une vérité officielle certaine et immuable sur tous les sujets et que tout affirmation contraire relèverait du complotisme et devrait être combattu et censurée. Pour l’Elysée, l’ambition de la Commission Bronner doit être de « penser l’espace de débat commun de notre démocratie ». Avec la vision monolithique et obstinée qui semble présider aux travaux de cette commission, la création d’un ministère de la Vérité, sous une forme ou une autre, prend forme sous nos yeux.