15 octobre 2021 • Opinion •
Le Royaume-Uni a officiellement quitté l’Union européenne le 31 janvier 2020. Mais dès le vote du Brexit, le pays a tenté de porter sur les fonts baptismaux un nouveau modèle économique susceptible de se substituer à l’ancien, tourné vers l’Europe continentale et le secteur financier. Analyse de Sébastien Laye publiée sur Fildmedia.com.
La Grande-Bretagne a su échapper au scénario catastrophe du « no deal » avec l’UE. Et même si les exportations sont soumises à une multitude de documents, cet alourdissement des procédures pèse en réalité sur le commerce extérieur du pays. Londres entendait compenser les pertes de marché en Europe par le concept de Global Britain, en relançant son commerce extérieur avec les pays du Commonwealth et le grand allié américain. Le Royaume-Uni a ainsi signé plus de 60 traités bilatéraux de libre-échange depuis lors, suivant le modèle de Trump, et Boris Johnson gère en direct cette compétence qu’il a soutirée à son ministre des Affaires étrangères. Toutefois, Washington a peu accordé de crédit à Johnson en la matière, et Biden ne paraît pas vouloir aider le Royaume-Uni plus que de raison face au partenariat transatlantique européen : la défaite de Trump fut une vraie épine dans le pied des Brexiters.
En réalité, les Brexiters demandaient une refonte radicale, sur deux points, du système britannique.
La première consistait à transformer le pays en un paradis fiscal plus déréglementé, aux portes de l’Europe continentale, sur le modèle de Singapour. Mais la nécessité de conserver l’accès au marché européen ainsi que les dépenses de santé liées à la pandémie ont plutôt obéré cet objectif. L’autre pilier de la refonte reposait sur des investissements massifs dans les infrastructures, telle la ligne à grande vitesse HS2. La pandémie, la réorientation des finances publiques vers la santé et le soutien immédiat aux ménages, ont retardé ces grands travaux.
Force est de constater que le Royaume-Uni n’a pas plus souffert que d’autres pays de la crise du Covid. Son PIB a moins reculé que celui de la France, et le rebond de son économie a été à la fois plus précoce et plus aigu. Mais comme ailleurs, ce rebond se solde aussi par des déséquilibres, que l’on constate également aux États-Unis et qui arriveront en France au cours des prochains mois.
Des hausses de prix, des pénuries persistantes de certains produits, des ruptures de chaînes d’approvisionnement faute de main d’œuvre suffisante sont autant de symptômes de ce rebond atypique, marqué par l’inflation et des goulots d’étranglement. Il serait malhonnête de les attribuer au seul Brexit : c’est la nature même de la crise et du rebond subséquent qui expliquent ces tensions, d’ailleurs partagées par tous les pays ayant retrouvé leur niveau de PIB pré-crise. Les circuits de la mondialisation et des transports ont été rompus, le pic de production de certaines activités n’a pas retrouvé le niveau pré-crise, certains métiers ont changé, et des industries entières ont dû se reconfigurer. Le retour à la normale se mesure en années et non en mois, et certains pays comme la France ne sont même pas encore revenus à leur PIB d’avant crise.
Le Royaume-Uni a dû certes gérer le Brexit effectif dans ce climat complexe. Mais on voit mal le pays revenir au modèle pré-Brexit, fait d’exportations vers l’UE, de bas salaires, de financiarisation extrême, de productivité basse.
Le seul point sur lequel Johnson devra peut-être céder s’agissant du modèle post-Brexit, c’est sur la question de l’immigration. Si, comme nous le croyons, son économie est en surchauffe post-Covid pour répondre par exemple à certaines pénuries de main-d’œuvre dans les services, il pourrait relancer l’immigration, alors même que les Brexiters demandaient son arrêt quasi-total. Cela démontre ainsi qu’avec le Covid, certains ajustements des promesses des Brexiters sont inéluctables. Mais cela ne remet nullement en cause le nouveau modèle économique britannique post-Brexit, qui doit assurer une meilleure croissance, de la prospérité et la réduction des inégalités au peuple britannique au cours des prochaines années.