23 octobre 2021 • Opinion •
Après s’être concentrée sur l’éolien et le photovoltaïque, l’Union européenne, et en particulier les États membres à l’ouest de celle-ci (France, Allemagne, Belgique…), se focalise de plus en plus sur l’hydrogène pour décarboner le secteur électrique et celui de la mobilité.
Les partisans de ce vecteur d’énergie y voient le moyen de pourvoir, lorsque la technologie sera au point, au stockage de l’énergie nécessaire à la compensation de l’intermittence de la production d’électricité d’origine éolienne et photovoltaïque, ainsi que le carburant idéal de substitution aux combustibles fossiles pour la génération non intermittente d’électricité et pour la mobilité bas carbone.
À titre d’exemple, le gouvernement coréen a débloqué, en 2020, 267 millions d’euros pour soutenir le développement des véhicules à pile à combustible (produisant de l’électricité à partir d’hydrogène) et des stations de remplissage d’hydrogène. L’objectif coréen est de devenir le leader dans le secteur de la production et de l’utilisation de ce « carburant ».
Dans cette perspective, Korea Gas a annoncé son intention d’investir environ 3,6 milliards d’euros d’ici à 2030 dans la construction de 25 usines de production d’hydrogène et de 700 km de gazoducs dédiés. En mars 2019, le ministère du Commerce, de l’Industrie et de l’Énergie de Corée avait créé une société spécialisée HyNet chargée de la construction d’une infrastructure de recharge d’hydrogène.
Ceux qui ne partagent pas cette vision dénoncent l’utopie, voire l’imposture d’une telle approche. Quels sont leurs arguments principaux ?
La molécule d’hydrogène n’existe pratiquement pas à l’état naturel sur notre planète. Il faut donc la fabriquer soit par un procédé bon marché, mais émetteur de CO2 (le reformage du méthane), ce qui est incompatible avec le verdissement de l’économie, mantra des écologistes, soit par un processus plus vert, mais beaucoup trop cher actuellement et qui requiert, pour sa production massive, d’accroître considérablement (dans le cas du tout renouvelable) les parcs éoliens et photovoltaïques, avec les conséquences négatives sur l’économie qui en découlent (investissements coûteux accrus dans le stockage d’énergie, dans le renforcement des réseaux électriques, etc.).
Ceux qui contestent le recours à l’hydrogène énergie considèrent que cette molécule est bien mieux valorisée dans l’industrie, notamment pour la production d’ammoniac ou de méthanol et dans d’autres processus industriels pour lesquels il s’avère indispensable. De toute façon, une large pénétration de l’hydrogène dans le système énergétique ne pourrait se faire que progressivement et non dans l’urgence, comme le souhaitent ses protagonistes, vu les contraintes économiques, industrielles et politiques.
Rappelons que l’objectif de la Commission européenne situe la proportion de l’hydrogène dans le mix énergétique, en 2050, entre 13% et 14% (1). Donc une transition s’inscrivant dans la durée. Cette filière est, toutefois freinée par diverses lacunes technologiques et logistiques et, comme déjà souligné ci-dessus, par le prix du kilo d’H2 vert qui, actuellement, est très loin d’être compétitif. Il est indispensable, pour assurer sa rentabilité, de réduire drastiquement ce coût pour atteindre, dans un premier temps, celui obtenu à partir de gaz naturel. D’autre part, la filière hydrogène dans le système énergétique n’est pas sans risques (2).
L’Union européenne a fait de l’hydrogène son cheval de bataille tant comme capacité de stockage énergétique pour compenser le recours croissant à l’énergie renouvelable intermittente que comme moyen de conversion énergétique impliquant les secteurs électrique, du transport et de la chaleur. La France n’est pas en reste. Son objectif est d’injecter 7,2 milliards d’euros d’ici à 2030, dont 2 milliards d’ici à 2022, dans le cadre du plan de relance, pour soutenir la production d’hydrogène vert et encourager de nouveaux usages (3). Même si les États-Unis se sont retirés des accords de Paris, certains gouvernements locaux, comme la Californie, et des entreprises s’emploient à développer la filière hydrogène.
Les États-Unis parient sur le couple hydrogène-nucléaire, très peu envisagé en Europe (4). Le département de l’Énergie (DOE) cherche des solutions plus écologiques pour produire de l’H2. Cela passe en grande partie par le nucléaire. L’idée est d’utiliser la production nucléaire en surplus, lors de pic de production électrique, pour produire de l’hydrogène qui peut être stocké. Toutefois, cette approche ne constitue pas une innovation disruptive.
Malgré cet engouement pour l’hydrogène en Europe, aux États-Unis, en Corée du Sud et en Chine pour ne citer que quelques pays, une percée réelle ne pourra se concrétiser sans technologie de rupture fiable et durable conduisant à un coût égal, voire inférieur à celui de l’hydrogène à partir de méthane, la solution la plus économique actuellement.
C’est précisément le projet de l’entreprise israélienne H2Pro dont l’objectif est de fabriquer de l’hydrogène à moins d’un euro le kilogramme. Breakthrough Energy Ventures (BEV), un des fonds d’investissement de Bill Gates, vient de réunir 18,5 millions pour financer le développement de cette nouvelle technologie de la start-up israélienne : le séparateur d’eau. Bill Gates a su convaincre le conseil d’administration de BEV dont font partie, entre autres, Jeff Bezos, Richard Benson et Michael Bloomberg.
Contrairement à la fabrication par électrolyse classique, l’hydrogène et l’oxygène sont générés séparément dans des étapes différentes : une étape électrochimique (E) et une étape chimique (TAC) activée thermiquement. Le découplage précité en deux processus distincts réduit considérablement les dépenses d’investissements nécessaires (5). Les dispositifs E-TAC sont beaucoup plus simples et moins chers à construire. En produisant séparément l’hydrogène et l’oxygène en deux étapes consécutives, le processus est également nettement plus sûr (6).
C’est également le projet de la joint-venture Ressources HPQ Silicium Inc., entreprise de développement technologique et fournisseur de solutions innovantes à base de nanosilicium de haute pureté (7), et de EBH2 Systems SA, une entreprise suisse possédant une technologie exclusive capable d’extraire à partir de n’importe quelle source d’eau, y compris de l’eau de mer, un hydrogène vert qui peut être utilisé pour la production d’électricité à faible coût et sans impact environnemental. Le système EBH2 produirait de l’hydrogène à un coût inférieur à un dollar le kilogramme (8).
Quand il est question d’hydrogène, la position des partisans et des opposants de cette filière énergétique a tendance à relever de la posture : les premiers en promouvant l’hydrogène, quel qu’en soit le coût parce qu’ils le considèrent comme une énergie verte et à ce titre ne peut être contesté ; les opposants en négligeant, voire en ignorant, dans leurs analyses, les technologies de rupture, débouchant sur une production d’hydrogène totalement différente, qui pourraient remettre en question leur argumentation.
L’hydrogène énergie en est encore au stade de l’expérimentation. Il lui faudra encore du temps et quelques innovations disruptives supplémentaires avant d’atteindre une maturité suffisante.
Notes •
(1) Une stratégie de l’hydrogène pour une Europe climatique neutre, COM (2020) 301 final, 8 juillet 2020.
(2) Hendrik Domanovszky, « Pushing hydrogen out of the safety controlled laboratory environment for mass on-road application will cause critical safety hazards », Science, climat, énergie, 26 février 2021, disponible ici.
(3) « La France investira 7,2 milliards d’euros pour produire 600 000 tonnes d’H2 vert/an d’ici à 2030 », Agence EcoFin, 9 septembre 2020, disponible ici.
(4) Kathy De Schrijver, « Les États-Unis parient sur le couple hydrogène-nucléaire, très peu envisagé en Europe », Business AM, 21 mars 2021, disponible ici.
(5) Hugo Le Boulzec, « La production d’hydrogène vert », Encyclopédie de l’énergie, 14 juin 2016, disponible ici.
(6) Jean-Luc Poncin, « Bill Gates soutient un nouveau procédé d’hydrogène vert low cost », H2mobile, 15 mars 2021, disponible ici.
(7) Cette structure à base de silicium augmente considérablement le rendement énergétique.
(8) « HPQ lance un projet d’extraction d’hydrogène vert révolutionnaire basé sur une technologie de rupture », HPQ, communiqué de presse, 24 août 2021, disponible ici.