Que dit réellement la loi sur les « thérapies de conversion » ?

Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste et chercheur associé à l’Institut Thomas More

15 décembre 2021 • Opinion •


Députés et sénateurs se sont mis d’accord le 14 décembre sur la rédaction commune d’une proposition de loi pour interdire les « thérapies de conversion ». Mais ce texte entend aussi empêcher toute mise en question du souhait d’adolescents voulant changer de sexe, argumente le pédopsychiatre Christian Flavigny, auteur de Aider les enfants « transgenres ». Contre l’américanisation des soins aux enfants (éd. Pierre Téqui, 2021), qui s’inquiète de la disqualification des parents et des professionnels de santé.


Une Commission mixte paritaire réunissant députés et sénateurs s’est réunie le 14 décembre pour parvenir à un compromis entre les deux assemblées sur les dispositions de la proposition de loi relative à l’interdiction des «thérapies de conversion» encore en débat.

Ce texte inscrit en procédure parlementaire accélérée – donc à l’écart du débat public – entend interdire d’influer sur l’orientation ou l’identité sexuelle d’une personne (majeure ou mineure) en recourant à des pratiques dégradantes. À savoir « stages de guérison, séances d’humiliation, hypnose, traitements par électrochocs, ou encore mariages forcés, séquestration, privation de nourriture, coups et violences, viols, et même excision ». Et également « les prescriptions d’anxiolytiques, d’antidépresseurs, injection d’hormones » qui évoquent le sinistre souvenir de la « castration chimique ». On sait qu’y furent soumis, jusqu’en 1967 en ce qui concerne l’Angleterre, et dans les seules sociétés anglo-saxonnes, les homosexuels masculins condamnés à choisir entre l’emprisonnement et la prescription d’hormones féminines. Et l’on se souvient de la fin tragique à laquelle fut ainsi conduit Alan Turing en 1954.

Il s’agit d’interdire par la loi des pratiques qui, fort heureusement, n’ont jamais existé en France. En revanche, ce catalogue des horreurs vise à cacher la motivation véritable des promoteurs du texte.

Insidieusement, l’interdiction porte sur un tout autre sujet ; il s’agit de prohiber toute mise en réflexion du vœu exprimé par des jeunes se ressentant être de l’autre sexe, aussi bien la réflexion des parents qui objecteraient à la prescription d’hormones à des jeunes réclamant d’engager leur « transition », que celle de professionnels qui auraient recours aux « psychothérapies » ; ce qui revient à disqualifier les parents et insulter les professionnels.

Selon les défenseurs de la proposition de loi, être « transgenre » serait une situation avérée n’appelant aucune mise en questionnement ; les pouvoirs publics auraient pour mission de protéger les enfants et les adolescents des préjugés jugés retardataires de leurs parents et des psys. Bref, sans même avoir procédé à l’audition des professionnels du monde psy français (qui l’avaient pourtant sollicitée), ils souscrivent à la thèse des militants américains.

Or la culture française montre que le vocable même de « transidentité » reflète l’utopie américaine, effet de son incompréhension psychologique du désarroi que traduit l’invocation de ces jeunes de se sentir de l’autre sexe : l’approche américaine le rapporte à une fort improbable « erreur de la nature » dénuée de toute pertinence scientifique, mais suscitant un mirage auquel se raccrochent nombre de jeunes dans leur désarroi, les détournant vers le leurre « transhumaniste » d’une « transition » hormono-chirurgicale qui miroite des éclats d’une solution magique.

La culture française se caractérise par une compréhension psychologique approfondie du profond malaise de ces jeunes, le prenant très au sérieux mais l’abordant à la racine de la souffrance et non selon des protocoles factices et plaqués. L’identité sexuée comporte la conciliation affective parfois difficile entre la réalité corporelle sexuée et le lien filial inscrivant un destin de garçon ou de fille ; la psychologie française sait approcher ces enjeux intimes propres à la relation parent-enfant, avec le tact justifié, elle sait travailler à dénouer l’entrave affective qui a pu se constituer, sans en rendre fautifs ni les parents ni le jeune. Écarter les parents d’une décision de « transition »qui engage pour leur enfant le fondement même de son existence, puisqu’il s’agit de son sexe et de son prénom, ce sont les soupçonner a priori d’une violence dont la société aurait à protéger le jeune concerné ; ce sont les disqualifier sur un sujet fondateur de la relation à leur enfant, et c’est priver l’enfant de l’assise qu’offre cette relation, même en contesterait-il plus tard certaines données, ce qui ne lui sera possible que depuis s’être au préalable appuyé sur elle.

Le texte de loi disqualifie les parents de leur rôle de protection de l’enfant, sur le modèle de l’auto-disqualification américaine des parents, illustrée par telle star y proclamant attendre que l’enfant qu’elle porte ait atteint ses dix-huit ans pour le laisser « choisir » le sexe auquel il estime appartenir. Cette façon américaine de ne pas s’impliquer au plus intime de la relation à l’enfant, au prétexte de le respecter, est en fait la peur d’une contestation future qui, au motif d’une erreur d’attribution qui serait plus tard dénoncée par le jeune devant les tribunaux, mènerait au procès selon la manière coutumière outre-Atlantique. Cette manière s’argumente de la « théorie du genre », qui est une idéologie puisque, vraie prémisse de sa réflexion sur la genèse de l’identité sexuée, elle élude la réalité corporelle ; or celle-ci n’est qu’une composante de cette identité, mais elle n’en est pas moins fondatrice. C’est comme si la désignation initiale du sexe corporel portait le risque d’une « erreur d’assignation », et que le corps sexué n’était pas, à l’orée de toute existence, l’effet d’un hasard naturel qui ne doit rien à une construction chargée d’arbitraire, et qu’il s’agit alors pour chacun de s’approprier pour y fonder l’évidence de soi-même.

Ainsi les législateurs français trahissent la culture française, témoignant une prétention à l’américanisation de la société française qu’ils plaident au nom d’un « progrès » auquel ils auraient pour mission de la convertir : toutes les lois sur la famille et la bioéthique (mariage, adoption, PMA, etc.), depuis plusieurs décennies, traduisent cette déculturation à marche forcée, dans l’idéalisation aveugle des « élites », véritables zélotes de la manière anglo-saxonne.