Une année 2022 de normalisation économique ?

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

2 janvier 2022 • Opinion •


Après un effondrement mondial du PIB en 2020 du fait des confinements, 2021 fut marqué par un rebond mécanique de la croissance. Dans ce contexte, quelles peuvent être les tendances pour 2022 ?


Force est de reconnaître qu’un exercice de prévision économique révèle toujours plus sur son auteur que sur la réalité économique, comme le disait l’investisseur Warren Buffett. N’en déplaise aux cyniques, cet exercice est cependant utile en fin d’année ou en début de nouvel exercice, ne serait-ce que lorsqu’il est ancré sur un vrai diagnostic des tendances en cours et une interprétation du flot des chiffres qui nous accablent au quotidien… Notre thèse, pour 2022, sera ainsi de déceler les linéaments d’une année de normalisation après une année d’exubérance. Une normalisation qui pourrait donner libre cours à de nouvelles crises ou fractures au cours de la deuxième partie de 2022.

Après un effondrement mondial du PIB en 2020 du fait des confinements (-3,6% pour le monde, -4/-5% pour les pays occidentaux les plus solides comme les États-Unis ou l’Allemagne, mais -8,3% pour la France ou -9% pour l’Italie), 2021 fut marqué par un rebond mécanique de la croissance mondiale. Au terme de cet exercice, si certains pays comme la Chine puis les États-Unis ont non seulement retrouvé leur niveau de PIB avant crise, mais aussi intégralement compensé la croissance normale de 2020-2021 hors scénario Covid, d’autres en Europe (notamment la France) ne feront que retrouver leur PIB de décembre 2019 au cours des prochains jours. Ce qui veut dire que la croissance normale de 2020 et 2021 est désormais définitivement perdue. Car avec le rebond de 2021 (nous attendons entre 6,5 et 7% en France), la croissance « facile » post-crise paraît s’achever.

Ainsi, les prévisionnistes (tel Rexecode) revoient rapidement et fréquemment leurs chiffres ces jours-ci. L’Allemagne ne dépassera pas les 3% en 2022 et la France est attendue à 3,7%. Comme Rexecode, nous nous attendons à une croissance française de 3,5% en 2022 (mais avec une contribution aux deux tiers sur le premier semestre) puis inférieure à 1% en 2023 (le consensus était encore à plus de 2% il y a un mois…). Il n’y a pas d’effet mécanique de long terme sur la croissance de la crise, les plans de réinvestissement dans l’économie réelle actuelle ne sont pas de nature à soutenir la croissance pendant plusieurs années, et surtout les déséquilibres induits par les interventions des gouvernements obèreront la croissance à partir de 2023. On citera bien sûr l’inflation, qui en ravageant le pouvoir d’achat et en limitant l’ajustement à la hausse des appareils de production, met un plafond naturel à notre croissance post crise : déjà de 6,7% annualisée aux États-Unis, l’inflation a atteint 5% en Allemagne et 4% en Europe. La France la mesure à 2,8%, avec un appareil statistique dépassé : elle devrait être de 3,5%/4% en moyenne l’an prochain. Ce sera un formidable défi pour les équipes politiques alors que la croissance nominale ne dépassera pas ce niveau d’inflation. Ainsi, ce thème de l’inflation et du pouvoir d’achat, et donc de la normalisation des politiques monétaires, monopolisera nos dirigeants et ministres de l’économie en 2022.

Les banquiers centraux, en 2021, ont clairement commis l’erreur de mal calibrer leurs réponses à la crise et de nier la réalité de l’inflation. La FED commencera la normalisation monétaire là où la BCE tergiversera probablement une bonne partie de l’année. Le début de la normalisation monétaire en Europe ce ne sera pas avant 2023 : à moins que le fort ralentissement de la croissance, voire un risque de récession, ne tue dans l’œuf l’inflation et donc toute hausse des taux. Outre l’inflation, les gouvernants vont aussi commencer à tenter de rétablir l’équilibre des finances publiques. Cet exercice, nécessaire face à la folle inflation des budgets (encore un budget voté de 5% de déficit en 2022 en France après 8% en 2021 et presque 10% en 2020), va donc réduire le soutien public à la croissance dès 2023.

Est-ce que d’ici-là les plans d’investissements peuvent prendre le relais sur les budgets généraux ? Nous pensons que seuls les États-Unis et la Chine ont des plans intelligents d’infrastructures. Les plans français dits « de relance » ou « technologique » ne contrecarreront pas les vents contraires à la croissance, sauf si une nouvelle équipe à Bercy reprend avec plus de finesse cette question d’un vrai plan français d’infrastructures public-privé. Il ne faut pas non plus exclure de bonnes nouvelles sur le plan des réformes structurelles en cas de changement d’équipe politique.

2021 fut l’année de tous les excès, sur fond d’intervention des banques centrales : de record boursier en record boursier, les valeurs du Nasdaq ou Tesla ont échappé à toute rationalité, alors que le nouvel eldorado du Bitcoin a supplanté l’or comme valeur alternative à un système financier dont nul n’achète plus la stabilité et la crédibilité. Si les excès de liquidité, les déficits records ou les risques inflationnistes étaient naturels et compréhensibles en 2020 face à l’abysse économique des confinements, la pérennité de ces phénomènes (et l’emballement de l’inflation) en 2021 est inquiétante, comme si le monde ne parvenait pas à sortir du cadre la crise. Or, si les variants prolongent la crise sanitaire, nos économies ont appris à vivre avec et Omicron ne crée pas de vrais problèmes. C’est donc la facilité, ou l’absence de diagnostic correct (« l’inflation n’est pas un risque », disait encore récemment la FED américaine), qui explique la permanence de ce régime d’exception.

En 2021, les gouvernants ont prolongé la fête ; en 2022, ils vont se faire peur avec les conséquences de cette gabegie, en cherchant les parades face à un possible ralentissement en 2023.