17 janvier 2022 • Opinion •
Le Conseil d’analyse économique, organe indépendant qui conseille le gouvernement, propose d’alourdir la taxation des successions. Pour Charles Beigbeder, cette mesure serait économiquement inefficace et socialement injuste.
Dans sa dernière publication, le Conseil d’Analyse Économique (CAE) propose au gouvernement de lutter contre les inégalités en taxant plus lourdement les successions. Cette note met en lumière l’idéologie qui, en France, a peu à peu transformé la taxation de l’héritage en un outil de répression, économiquement inefficace et socialement injustifiable.
L’analyse du CAE se fonde sur un constat simple : « Le retour de l’héritage, depuis une trentaine d’années, porte en lui le risque d’un dérèglement profond de l’égalité des chances, valeur cardinale des sociétés démocratiques ». Ce diagnostic recouvre deux phénomènes connexes, mais distincts : d’une part, le poids croissant de la richesse héritée et, d’autre part, la très forte concentration des patrimoines. Avant de s’interroger sur les conséquences concrètes d’une telle inégalité, il est étonnant qu’on ne cherche pas d’abord à l’expliquer. Cet état de fait découle pourtant de phénomènes facilement identifiables.
Si le poids relatif des biens familiaux par rapport au revenu national a doublé entre 1970 et 2020, c’est d’abord parce que les actifs financiers et immobiliers ont bénéficié ces dernières années de conditions exceptionnellement favorables : recul historique de l’inflation, liquidités injectées en masse sur les marchés par les banques centrales, taux d’intérêt quasi nuls. Cela est également dû au fait que la mondialisation a mis un terme à la progression continue des salaires que la France avait connue durant les Trente Glorieuses. Enfin, si les patrimoines se trouvent détenus par un nombre de plus en plus restreint d’individus, on peut y voir une conséquence directe de la baisse de la natalité, les mêmes biens se transmettant à un moins grand nombre de descendants.
Les auteurs de la note du CAE préfèrent insister sur les inégalités sociales, rappelant que « le top 1% des héritiers peut désormais obtenir, par une simple vie de rentier, un niveau de vie supérieur à celui obtenu par le top 1% des travailleurs ». Il est regrettable que des chercheurs reconnus propagent des clichés tout droit sortis d’un roman de Zola : de nos jours, ceux qui pourraient vivre de leurs rentes fondent plutôt des start-up ou des sociétés de private equity. Mais il y a plus grave : les économistes du CAE commettent ici une lourde erreur d’analyse, en confondant l’égalité des chances avec l’égalité des niveaux de vie. Or, la véritable égalité des chances est celle qui permet à chacun, quel que soit son niveau social, de donner la pleine mesure de ses talents : c’est donc par les revenus, bien plus que par le patrimoine, qu’on peut légitimement la mesurer.
Sous une apparence d’objectivité scientifique, le CAE cherche en fait à promouvoir des positions partisanes. Cela se manifeste d’abord par la volonté d’effacer l’une des caractéristiques majeures de notre système fiscal : la priorité reconnue à la transmission des parents aux enfants (qui représente plus de 90% des capitaux transmis et moins de 50% des droits de mutation à titre gratuit). Est-ce au nom de l’efficacité économique ? Nullement. C’est pour tenir compte des « modifications profondes des structures familiales » qu’il est recommandé d’aligner les deux régimes, bien évidemment en réduisant les avantages offerts par le plus favorable des deux.
Outre un appel à taxer plus lourdement l’assurance-vie (ce dont rêve chaque gouvernement sans oser l’entreprendre), le CAE propose de supprimer les avantages fiscaux liés au « séquencement des transmissions patrimoniales », c’est-à-dire aux transferts de patrimoine échelonnés dans le temps, alors même que l’allongement de l’espérance de vie rend indispensable cette forme de solidarité entre générations. Une seconde proposition tend à la suppression progressive des exemptions de taxes accordées au patrimoine professionnel. Celles-ci, grâce au « Pacte Dutreil », sont plus généreuses en France qu’ailleurs. Il s’agirait donc de s’aligner sur l’Allemagne où, depuis 2016, les exemptions de ce type ont été limitées pour les patrimoines professionnels allant de 26 à 90 millions d’euros, tandis qu’au-delà de ce seuil, c’est le droit commun qui s’applique.
Quoique contestables, ces pistes de réforme peuvent encore être discutées. La dernière proposition du CAE doit en revanche être combattue sans réserve : il s’agirait de verser à chaque citoyen parvenu à la majorité un capital forfaitaire. Cette mesure ne relève pas seulement de la plus pure démagogie ; elle se fonde, là encore, sur une coupable erreur d’analyse. En effet, ce dispositif existe déjà : ce sont les dépenses d’éducation. Selon les chiffres de l’INSEE pour 2019, elles représentent 9 000 euros par an et par élève (financées à 83% par la collectivité). Cela signifie qu’un capital de 88 000 euros est attribué à tout jeune Français au cours de ses treize années d’instruction obligatoire : voilà le facteur essentiel de la mobilité sociale et le plus riche héritage qu’un individu puisse recevoir. Hélas, tous les classements internationaux indiquent que la formation financée par ces dépenses est de plus en plus médiocre. Si l’on veut enrichir tous les Français, il suffit de faire en sorte que cette dotation ne soit plus dilapidée par une administration inefficace et politisée à outrance. En matière d’héritage, une des réformes les plus urgentes est donc celle de l’Éducation nationale.
Cela ne signifie pas pour autant que notre régime fiscal en matière de successions doive demeurer inchangé. Cependant, plutôt que de flatter la haine des riches qui tient lieu de programme économique à l’extrême gauche, il serait plus avantageux pour le pays tout entier de stimuler à la fois l’innovation et la volonté de transmettre. Loin d’alourdir la taxation existante, on pourrait ainsi imaginer de supprimer tous les droits de donation et de succession pour la transmission d’entreprises familiales. On nous objectera que cela avantagera encore les 1% les plus fortunés. Cela ne fait aucun doute. Toutefois, rien ne nous interdit de concevoir une législation qui, renonçant à la répression, encourage l’investissement productif plutôt que la dilapidation du patrimoine dans la consommation. On ajoutera sûrement qu’un tel assouplissement pèserait sur nos ressources budgétaires. C’est exact. Mais n’y a-t-il pas suffisamment d’économies à réaliser sur nos 1 420 milliards d’euros de dépenses publiques annuelles pour financer une mesure aussi emblématique du soutien que l’État devrait apporter aux entreprises françaises ?