25 janvier 2022 • Opinion •
Alors que l’inflation remonte, le pouvoir d’achat s’impose comme le principal sujet de préoccupation des Français pour l’élection à venir. Sébastien Laye propose ses solutions pour les candidats à l’élection présidentielle.
Dans toute campagne électorale (et nous ne sommes que dans la pré-campagne présidentielle, aussi longtemps que Macron n’est pas descendu dans l’arène et que les thématiques ne se cristallisent quelques semaines avant le premier tour), il y a la perception des sujets d’importance (au gré des polémiques quotidiennes, des agendas des uns et des autres) et la réalité de ces sujets. Or depuis de nombreux mois, toutes les enquêtes d’opinions, concordantes avec le ressenti au quotidien de nos concitoyens, attestent de ce que le pouvoir d’achat sera le principal sujet de préoccupation des Français lors du vote. Récurrent depuis 2018 et le soulèvement des Gilets Jaunes, cette thématique est rassérénée par l’envolée de l’inflation. Et nous sommes de ceux qui considèrent que la France n’a encore rien vu en la matière, et que la vraie inflation sera avec nous au printemps (et donc pour la fin de la campagne, les deux tours de la présidentielle et les deux tours de la législative subséquente).
Si les banquiers centraux ont longtemps nié la réalité de l’inflation, ils ont dernièrement dû faire volte-face, et rejeter le narratif précédent d’une inflation «transitoire», due aux seuls goulets d’étranglement dans les chaînes de production après la disruption des confinements. Aux États-Unis, l’inflation atteint (en valeur annualisée) 7%, avec une augmentation des loyers de 19% en 2021 ; en Allemagne, 5%, en Espagne 4,7% ; la France, avec un appareil statistique archaïque et perclu de défauts (sur l’immobilier, la technologie), enregistre déjà 2,7%. Mais, décalée dans le cycle économique, elle devrait rattraper l’Espagne dans quelques mois. Déjà sur le terrain, l’envolée des prix de l’immobilier, les polémiques sur le prix de la baguette (les prix du blé ont triplé en 12 mois), le carburant ou l’énergie montrent bien l’ampleur des problèmes : un panier de biens moyens de consommation enregistre une inflation nettement supérieure à l’indice synthétique de l’Insee. Nos concitoyens se concentrent à juste titre sur ces biens essentiels, et non sur le prix des composants électroniques ; et même chez les professionnels, il suffit de parler aux acteurs du bâtiment ou de la transformation industrielle pour comprendre que les coûts des entreprises s’envolent aussi dangereusement ces jours-ci…
Sur le quinquennat Macron (mais avant cette envolée de l’inflation), le pouvoir d’achat n’a que peu progressé, d’environ 1,6%, et encore avec d’énormes disparités : en bas de la pyramide, les 5% des ménages les plus modestes – les personnes qui ont un niveau de vie inférieur à 972 euros par mois – apparaissent, selon l’étude la plus sérieuse en la matière (IPP), comme les grands perdants du mandat Macron. Ils auraient ainsi concédé jusqu’à -0,5% de pouvoir d’achat sur l’ensemble du quinquennat. La seule réponse à cette compression du pouvoir d’achat, qui s’accélère depuis quelques mois, fut le chèque énergie, que d’aucuns ont rebaptisé chèque inflation. L’expérience, à l’étranger notamment, montre que ce type de fuite en avant pour les finances publiques (comme après la crise des « gilets jaunes » que Macron a fait taire par des aides massives) n’a aucun effet réel sur le pouvoir d’achat : au contraire, ces chèques alimentent eux-mêmes l’inflation, surtout quand cette dernière est d’origine monétaire (politique des banques centrales).
Si le pouvoir d’achat est la principale préoccupation des Français, loin devant la sécurité ou le chômage, la droite ne peut s’en emparer en proposant les mêmes solutions que Macron ou les socialistes. Il y a en réalité trois angles d’attaque sur la question (ou plutôt les questions, jumelles dans notre esprit, du pouvoir d’achat et de l’inflation), et deux approches (microéconomique et macroéconomique).
Sur le microéconomique, force est de constater que le meilleur traitement au problème du pouvoir d’achat est de permettre aux Français de travailler plus. La France a un déficit d’heures totales travaillées. La droite l’a bien compris en proposant trois réformes phares en la matière, qui redonneront immédiatement du pouvoir d’achat aux Français. La première est la sortie des 35 heures : au lieu de revenir brutalement et autoritairement aux 39 heures (ce qui n’est pas possible dans tous les cas), la droite devrait laisser de la flexibilité aux entreprises, sur la base de référendum d’entreprise ou d’accords, pour laisser les employés qui le souhaitent travailler au-delà des 35 heures. Sur le sujet du pouvoir d’achat, la clef est ici de défiscaliser (pas d’impôts sur le revenu supplémentaire) et de désocialiser (pas de charges sociales) totalement ces heures afin de garantir une augmentation maximale de revenu disponible pour les salariés. En sus de cette sortie aménagée des 35 heures, Valérie Pécresse propose un rachat des RTT afin de transformer du temps libre en salaire, là encore pour ceux qui le souhaitent. Une troisième mesure se rapporte à un constat récurrent fait par les économistes en France : celui selon lequel le travail ne paye plus en France, du fait d’un écart trop important entre le revenu net et le revenu brut. Toute réduction des charges sociales payées par les salariés permettrait de leur redonner du pouvoir d’achat. La droite prévoit ainsi de baisser ces charges pour augmenter de 10% tous les salaires nets entre 1 et 2.2x smic.
Toujours au niveau microéconomique, de l’autre côté de l’équation, opposé au terme revenu, il y a celui des coûts. Comment un gouvernement pourrait-il agir sur cette composante ? Il y a d’abord la question de la fiscalité. Si cette question fait l’objet de houleux débats théoriques chez les économistes, certaines baisses d’impôts abaissent plus directement les coûts des Français, et notamment les coûts à la consommation. On pourrait ainsi supprimer les taxes sur les taxes, comme la TVA sur la TICPE, et abaisser la TVA sur les produits de première nécessité (l’obstacle européen a une telle baisse est en train d’être levé au niveau du droit communautaire). Ces mesures fiscales d’urgence en contexte inflationniste peuvent abaisser les coûts de carburants et alimentaires pour les Français en quelques semaines. De manière plus générale, pour faire baisser les coûts, il faut agir sur les dépenses contraintes des Français, en matière de banques, assurances, télécoms, etc… Seule une adaptation de la fiscalité mais surtout une politique de l’offre et de la concurrence en la matière peuvent baisser les dépenses des ménages. L’État français doit reconnaître qu’il a parfois trop favorisé un capitalisme de connivence et de la concentration, parfois au nom de l’emploi, mais au détriment des consommateurs ; nous n’avons jamais tenté de mener de vraies politiques concurrentielles, de nous attaquer à certains monopoles, pour faire baisser les prix. Or cela est devenu une priorité pour sauver les finances des ménages de la classe moyenne. Des décisions rapides avec beaucoup d’impact financier peuvent être prises en 2022 et 2023 en la matière. Nous pouvons aussi le faire, nous citoyens (sans rien demander au politique) en protégeant nos petits producteurs locaux (qui sont aussi des consommateurs) alimentaires, à l’instar de certaines marques citoyennes de consom’acteurs telles que C’est Qui le Patron.
Si le traitement microéconomique du sujet du pouvoir d’achat (revenus des ménages et dépenses) est indispensable, il n’en demeure pas moins qu’ignorer la macroéconomie au cours des 24 prochains mois condamnerait tout gouvernement à l’échec en la matière. Or, il faut le répéter, une grande partie de l’inflation présente et à venir est d’origine monétaire. Les politiques monétaires expansionnistes, à l’inverse de ce qui s’est passé dans les années 2010, sont parvenus à atteindre leur objectif d’inflation à 2% corrélée à un bon niveau de croissance pour faire face au Covid-19 : mais elles n’ont que trop bien réussi, alimentant non plus seulement des bulles spéculatives (responsables d’inégalités sociales qui vont poser problème aux politiques) mais aussi une hausse des prix des biens courants. Tout pouvoir politique responsable sur la question du pouvoir d’achat, devra donc à nouveau s’intéresser aux grands équilibres macroéconomiques et à la politique monétaire. On ne peut pas laisser Christine Lagarde en pilote automatique sur le sujet. Certes, personne ne recommande d’augmenter brutalement les taux d’intérêt, mais il va falloir suivre avec attention la normalisation monétaire aux États-Unis en 2022, et l’adapter au contexte européen. Il n’y a pas que la question des taux d’intérêt (une première hausse modérée en 2023 serait bienvenue), mais plus généralement la nature des programmes d’achats d’actifs (notre recommandation en la matière est de les réorienter vers le financement des actifs réels tels que les infrastructures) et le contrôle de la masse monétaire (tant que celle-ci augmente sans limites, il sera difficile de contrôler l’inflation).
Si le sujet du pouvoir d’achat est déjà la première préoccupation des Français, l’augmentation de l’inflation et les difficultés d’approvisionnement énergétiques vont le propulser comme sujet majeur de la présidentielle d’ici mars-avril. Il n’y a pas une réponse unique pour le politique, mais bien un kaléidoscope de politiques : c’est dans l’interaction entre elles et la bonne vision globale que se jouera le succès des politiques.