La loi sur les thérapies de conversion favorise des solutions factices

Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste et chercheur associé à l’Institut Thomas More

29 janvier 2022 • Opinion •


Sous couvert de lutter contre les pratiques de thérapies de conversion des personnes homosexuelles, la loi votée à l’Assemblée vise à protéger le droit des mineurs à changer de sexe. Le pédopsychiatre Christian Flavigny, auteur de Aider les enfants « transgenres ». Contre l’américanisation des soins aux enfants (éd. Pierre Téqui, 2021), dénonce une volonté d’entraver toute réflexion à l’égard d’enfants en profond désarroi, notamment en disqualifiant le lien parents-enfants.


Le Parlement a adopté définitivement la création d’un délit contre les « thérapies de conversion » des homosexuels, mais il s’agit aussi d’interdire d’influencer les mineurs qui veulent changer de sexe. Pour le pédopsychiatre que vous êtes, être « transgenre » ou se dire « transgenre », notamment chez un enfant, est-il un droit ?

Il faut tout d’abord préciser que les thérapies de conversion n’ont jamais existé sinon uniquement dans les pays anglo-saxons, avec des mesures médicales répressives sur l’homosexualité, comme la castration chimique visant à réprimer la libido sexuelle en prescrivant des hormones féminines. Ce fut le cas en Angleterre jusqu’aux années 1960. Autrement dit, on fait une loi pour interdire quelque chose qui n’existe pas en France. S’agissant des enfants dits « transgenres », peut-on dire qu’il s’agisse d’un droit ? Clarifions la question : on dénomme « transgenre » des personnes qui disent « je me sens de l’autre sexe » ; mais on risque ainsi d’accréditer qu’elles seraient véritablement de l’autre sexe du fait d’une erreur de la nature qui aurait « mis une âme de fille dans un corps de garçon » (ou l’inverse). C’est l’explication des militants américains, évidemment sans aucune pertinence. Il s’agit en réalité d’un désarroi psychologique très profond, qui fait que le jeune ou la jeune n’arrive pas à s’approprier son sexe corporel comme le fondement de son identité. La vie psychique implique cela : s’approprier son corps pour en faire l’évidence de soi-même. C’est un processus psychologique compliqué ; ce ne serait un droit que si la théorie de « l’erreur de la nature à corriger » était fondée ; or elle ne l’est pas. S’il y a un « droit », c’est celui d’être aidé à dénouer le malaise sérieux dans lequel se trouve le jeune concerné.

Quelle est donc l’intention du législateur ?

L’objectif est d’accréditer que la demande à changer de sexe devrait être accordée dès lors qu’elle est formulée ; il s’agit de rendre impossible toute contestation de la demande du jeune, autrement dit d’entraver toute mise en réflexion de sa demande. Il faut dénoncer cette démarche qui est d’ailleurs aussi prônée par la circulaire de Jean-Michel Blanquer « pour répondre à la situation des élèves transgenres » : elle valide une entreprise médicale voire chirurgicale de changer de sexe, cautionnant que ces jeunes seraient victimes d’un sexe qui ne serait pas le leur et qu’il faudrait les aider à passer « de l’autre côté », ce que l’on appelle la « transition ». Or c’est un leurre que cette transition, puisqu’elle est un mirage de solution, mirage dont les jeunes, dans leur désarroi, ne peuvent mesurer les conséquences. En revanche, il faut prendre en compte très sérieusement le malaise qu’ils expriment à travers cette demande, mais en les aidant à s’approprier le sexe qui est celui de leur corps.

Est-il abusif de prétendre qu’avec cette loi, les enfants souffrant de dysphorie de genre n’auraient plus le droit d’être accompagné et pris en charge par des professionnels de santé, médecins ou psychothérapeutes ?

Oui, on veut retirer toute autorité et toute compétence aux professionnels de santé qui contesteraient la validité de cette demande de changement de sexe et qui préconiseraient d’approfondir les causes du malaise plutôt qu’engager une réponse factice. Or les professionnels de santé sont disponibles pour aider les jeunes à comprendre ce qui se passe en eux pour qu’ils aillent mieux, ils sont en France formés à cela (pas de la même manière aux États-Unis, ce qui explique l’attitude des professionnels dans ce pays).

Vous pointez également la prohibition implicite du rôle des parents à l’égard de leur enfant qui exprime le désir de changer de sexe. Que signifie cette disqualification autoritaire du père et de la mère sur une question aussi intime qui engage l’identité et l’existence de l’enfant ?

C’est en effet ce qui s’est passé dans les pays anglo-saxons, notamment au Canada et en Angleterre, où des parents ont été condamnés parce qu’ils refusaient la démarche de transition médico-chirurgicale de leur enfant. La justice considérait, selon la loi, que les parents devaient accepter la solution réclamée par leur enfant à son malaise, comme la seule valide. Autrement dit, les parents sont privés du droit de conseiller leur enfant dans sa souffrance, alors que des professionnels (en France tout au moins) peuvent aider à la surmonter, sans recourir au leurre de la démarche « de transition ». Il faut refuser qu’en France nous allions dans cette voie médico-chirurgicale, donc demander l’abrogation de la loi récente qui se drape dans une apparence de protéger les enfants alors qu’elle favorise leur embarquement dans des solutions factices dont ils ne peuvent mesurer les enjeux. Depuis une vingtaine d’années, nous assistons à l’organisation de la déstructuration du lien familial et la démission obligatoire des adultes, sous couvert de respecter la parole des jeunes : il faut contester cette posture en France car notre culture permet une autre approche, respectueuse de tous, mais refusant la disqualification du lien parents-enfants ; autrement dit nous devons contrer l’américanisation des mœurs françaises, notamment au plan des liens familiaux.