28 février 2022 • Chronique •
L’usage des cryptoactifs se répand de plus en plus en France et dans le monde. Mais il reste encore des freins importants à l’expansion de l’industrie crypto dans notre pays, selon notre chroniqueur Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More.
Force est de constater qu’il existe un point commun entre le marché des cryptoactifs et la pandémie : le concept de point de bascule, ou tipping point, mis en exergue il y a quelques années dans un ouvrage éponyme par Malcom Gladwell. L’usage des cryptos, dans le monde et en France, après une lente période d’initiation d’une niche de premiers utilisateurs, a franchi le point de bascule où l’utilisation se répand exponentiellement — les pandémies se répandent selon le même modèle, une fonction linéaire suivie d’une exponentielle.
Les prédictions sont certes hasardeuses en la matière, mais une étude de février de KPMG France a permis de faire le point sur la situation. On dit souvent que les cryptos représentent un marché de deux trillions de dollars (2 000 milliards de dollars) : cette vision est incomplète, car on ne fait là qu’additionner les capitalisations boursières des monnaies ou tokens — je préfère parler de cryptoactifs — du secteur, pour dire qu’elles représentent par exemple 1,5 fois la capitalisation boursière de l’argent (métal précieux).
Or il s’agit d’une vision parcellaire, car au-delà du jeton lui-même, ces actifs donnent naissance à une chaîne de valeur ajoutée, à des startups, des sociétés de service, liées aux cryptoactifs ou à sa blockchain. D’ores et déjà, le secteur est donc probablement plus proche en valeur des trois trillions, malgré la volatilité des actifs et notamment du bitcoin. C’est à peu près le poids du secteur automobile mondial…
Les Français attendent plus des banques
Si on revient sur l’Hexagone, un Français sur douze (8%) détient ou a détenu des cryptos, et 30% de ces détenteurs estiment qu’ils pourraient voter à l’élection présidentielle en fonction du positionnement des candidats sur le sujet. Or, on le sait, les investisseurs en crypto déplorent certaines règles fiscales en France sur le secteur, mais aussi les fermetures de compte en banque pour certaines startups. Le cadre fiscal et légal manque de sérieux et est souvent punitif. Peu de candidats se sont emparés de la problématique, la seule exception étant Éric Zemmour lors d’une visite chez Ledger, une startup du secteur.
Pourtant, ce sont les banques qui sont concernées au premier chef par les résultats de l’étude de KPMG. En effet, quatre français sur dix attendent de leur conseiller financier des opportunités d’investissement dans les cryptoactifs. On remarquera d’ailleurs que ce pourcentage de 8% des Français déjà investisseurs dans le secteur, a dépassé le nombre d’actionnaires (seuls 6,7% des Français ont détenu en direct des actions, ce qui est une singularité de notre pays).
Aux États-Unis, la plupart des banques majeures ont déjà amorcé le virage : JP Morgan, BNY Mellon, US Bank, etc., ont toutes ouvert des services d’achat-vente ou de conservation de cryptos dans les dernières années. En France, seule la Société Générale fait exception, reconnue généralement comme l’une des banques les moins fermées aux cryptos, qui gagne l’an dernier trois points de part de marché (13%) sur le segment de clientèle des investisseurs en cryptos, soit 30% de plus que sa part dans l’ensemble des Français (10%).
Deux obstacles à lever
Si 30 milliards d’euros (x6) ont été investis par les capital-risqueurs l’an dernier sur le secteur, ce chiffre est paradoxalement (si on se réfère à l’usage des individus) très bas en France : il y a en réalité des investissements dans les tours de table des startups, mais moins dans les cryptos ou les tokens du fait de l’absence de dépositaire agréé par l’AMF proposant une offre de custody à destination des fonds. Au-delà des licornes Sorare (essentiellement installée aux États-Unis désormais) et Ledger, près de 600 projets dans la blockchain ou les cryptos sont en cours en France. Toutes ces entreprises prévoient de recruter et le secteur devrait attendre les 2 400 employés fin 2022.
La France a de belles perspectives dans cette industrie à condition de lever deux obstacles dirimants. Le premier est le biais de réputation. Un certain nombre d’acteurs (pouvoirs publics, hauts-fonctionnaires, politiques, dirigeants de banques ou économistes) n’ont eu de cesse de pilonner cette jeune industrie en mettant en exergue les quelques malversations des débuts balbutiants. Ici, il reviendrait aux politiques et à certains grands entrepreneurs de prendre la parole et de défendre cette industrie : les arguments à reprendre ont été énoncés supra et sont simples à comprendre pour l’opinion publique.
Le second obstacle — de taille — au développement des acteurs crypto se situe au niveau de leurs relations avec les établissements bancaires français. Comment accepter que des startups du secteur ne puissent même pas ouvrir un compte en banque en France ? Il est grand temps de réaffirmer l’universalité de ce droit. La première banque qui fera preuve de flexibilité sur ces sujets sera à n’en pas douter, la principale banque de détail en France dans dix ans.