18 mars 2022 • Opinion •
Emmanuel Macron, candidat à sa réélection, a présenté jeudi 17 mars son programme à la presse et aux Français. Pour le chercheur Sébastien Laye, le projet économique d’Emmanuel Macron est incohérent.
Si les catalogues à la Prévert de mesures économiques sont de retour en période présidentielle, les temps ont changé et depuis le hiatus abyssal en 2017 entre les 1 000 pages de réformes de Bruno Le Maire (bien vite oubliées quand il prit les rênes de Bercy mais sous la direction macroniste) et l’absence de mesures détaillées revendiquées dans le projet d’Emmanuel Macron, c’est cette dernière approche qui prévaut désormais, à l’exception de la séquence plus détaillée du Congrès LR à l’automne dernier. Force est de constater, qu’épidémie et crise géopolitique aidant, les thèmes économiques (pouvoir d’achat, inflation, croissance, emploi) qui prédominaient pourtant dans les attentes de l’électorat, ont été relégués au second plan.
Dans ce contexte léthargique, l’ex-candidat de la disruption mais qui nous avait toujours laissé sur notre faim en matière de réformes économiques, a fait le choix de la prudence, reléguant l’économie derrière l’éducation par exemple. Ainsi, on pourrait reprocher au projet Macron 2022 en matière d’économie exactement ce qu’on pouvait dire de lui en 2017 : de pécher par un caractère vague, souvent irréalisable (ne sommes-nous pas souvent en présence de slogans plutôt que de réformes réalisables ?), ne prenant pas en compte le contexte macroéconomique ou encore l’évaluation des politiques publiques (ce qui marche et ce qui ne marche pas en matière de réformes sur le fondement d’expérimentations).
Il est d’abord une annonce de réforme qui fut télégraphiée avant même la présentation du programme, qui est celle des retraites et de l’objectif du départ à 65 ans. Il faut rappeler – n’ayons pas peur des mots – toutes les positions passées du candidat et sa schizophrénie sur ce sujet précis. En 2017, il indiquait que ce type de réformes paramétriques (faire bouger l’âge de départ ou les cotisations), prônées par la droite, était inutile, antisocial et cruel : il faisait rêver avec un projet de retraites par points. Jamais appliquée comme telle dans aucun pays, cette réforme n’a pu être menée à bien durant le quinquennat.
Cinq ans plus tard, face aux déséquilibres des caisses de retraite, Emmanuel Macron revient donc à la réforme « classique » mais en proposant une version qui la rend caduque. Il propose en effet d’étaler l’augmentation de l’âge de départ sur… neuf ans ! Qui peut garantir que son successeur va poursuivre la réforme ? Quel sera le contexte financier des caisses de retraite dans cinq, dans dix ans ? Cette réforme aurait un sens si elle est menée en deux ou trois ans : elle permettrait d’équilibrer les caisses (un an de décalage rapporte 10 milliards) et d’avoir un vrai impact. En l’étalant sur neuf ans, tous les économistes vous expliqueront qu’en réalité la réforme ne se fera pas : elle élude surtout le vrai sujet, qui est la nécessaire capitalisation d’une partie de nos retraites, pour sauver le système des pensions mais aussi défendre notre industrie et notre épargne. Macron pèche ici par défaut d’inventivité ou d’ambition.
On le retrouve aussi à contre-emploi total (mais plus en phase avec la droite conservatrice la plus dénuée d’imagination économique ?) sur la baisse des droits de succession. Là encore, nul big bang sur les droits, on parlera de clientélisme (électorat retraité) : mais il s’agit là d’une vraie torpille idéologique du logiciel macroniste. De 2014 à 2018, se voulant libéral de gauche, Emmanuel Macron fustigeait les rentes, tout en promouvant l’enrichissement des entrepreneurs. Le message était qu’on pouvait s’enrichir durant sa vie, acceptant les inégalités, mais les successions remettaient tous les talents au même niveau. Emmanuel Macron a abandonné ce logiciel libéral au profit d’une voie conservatrice : finalement, les impôts durant votre vie ne baisseront pas, en particulier pour les entrepreneurs, mais vos enfants garderont une part plus importante du gâteau. Si révolution il y a, c’est ici, dans le fondement même du logiciel macroniste. Cette réforme n’aurait aucune place dans le livre Révolutions de 2017 d’Emmanuel Macron.
Sur l’impôt, il a là aussi abandonné toute ambition : si le ratio prélèvements obligatoires/PIB est désespérément resté ancré à 46% durant le quinquennat, rien ne devrait changer. L’État prélève environ 1 115 milliards d’euros par an. Macron promet 15 milliards de baisses, soit 1%… Et quelles baisses ? La première, salutaire, porte sur la CVAE et une partie des impôts de production. Ces derniers sont de 75 milliards, le double du niveau moyen européen, et on promet de les baisser de 7 milliards : mais il faudrait multiplier cet effort par quatre pour avoir le moindre impact réel ! La deuxième baisse d’impôt, celle de la redevance TV, est une insulte à l’intelligence : où sont les études économiques, les études d’impact, qui montrent les biais négatifs de cette redevance ? Quelle activité économique entrave-t-elle à présent ?
Comme tous les candidats, Emmanuel Macron promet de revenir à un déficit de 3% du PIB à la fin du quinquennat (il y a un an, cet objectif devait être atteint en 2024) et de financer ses nouvelles réformes par 15 milliards d’économies via la réforme des retraites (si elle était moins lente et étalée, il en aurait récupéré 30), 15 milliards d’économies sur les collectivités locales (un grand classique de l’État, faire payer les autres, reste à savoir quels changements concrets il proposera) et le reste par la croissance (impossible à évaluer sur la durée du quinquennat à ce stade).
Il a choisi aussi de relancer une arlésienne en matière de réformes : la question du RSA et de sa contrepartie, en parlant de 15h à 20h par semaine d’activité. Moralement, une grande partie de la population le rejoindra. Mais aucun économiste ou juriste ne parierait sur la faisabilité de cette réforme telle quelle. Premièrement, certains départements ont expérimenté la chose et les résultats n’ont pas été concluants. S’il existe des activités pour occuper quelqu’un 20h par semaine, elles se soldent par un emploi. Nous ne sommes pas là en présence des heures d’intérêt général pour les prisonniers, qui sont d’ailleurs difficiles à organiser avec notre droit actuel. C’est notre seconde remarque sur cette pseudo-réforme : « entre 15 et 20h » comme a dit le président, c’est 17,5h, soit en durée légale du travail un mi-temps. Le modèle existe et il doit respecter la rémunération minimale, notre SMIC horaire : soit on se retrouve avec un RSA à 750 euros (contre 430 euros aujourd’hui), soit on déchire le droit social. Plus vraisemblablement, on ne fera jamais cette réforme.
Si les grandes lignes macroéconomiques sont incohérentes ou chaotiques, certaines approches microéconomiques, sans être révolutionnaires, sont plus convaincantes ; les aides au leasing de véhicule électrique et le rappel du plan d’innovation précédemment annoncé témoignent d’une vraie continuité sur la transition énergétique et la technologie. On retrouve aussi l’ADN de la campagne de 2017 en matière de travail, avec la promesse de refonte de l’assurance chômage et de Pôle Emploi, ou l’extension des comptes épargne temps : comme si le travail du premier quinquennat s’était arrêté en chemin, entre la crise des « Gilets jaunes » et celle du Covid, et qu’il fallait le reprendre en cas de réélection. Sans malheureusement aborder les vrais sujets, comme la sortie des 35h ou les salaires trop bas dans l’hexagone.