22 mars 2022 • Opinion •
Madrid sort de sa neutralité autour du Sahara occidental, au risque de se fâcher avec l’Algérie dont l’Occident jalouse le gaz. Analyse.
Le 18 mars dernier, le gouvernement espagnol a accompli un acte inattendu en déclarant que le plan marocain d’autonomie du Sahara occidental était « la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend » qui oppose Rabat à Alger depuis 1976. Désireux de mettre un terme à la crise qui opposait les deux pays depuis avril 2021, l’ancien colonisateur rejoint la France et l’Allemagne dans le camp des soutiens à la solution marocaine.
L’Algérie isolée diplomatiquement
Cette décision, qui fâche Alger et qui risque d’ouvrir une crise énergétique entre les deux pays (l’Algérie fournit un quart du gaz consommé par l’Espagne), est un jalon dans la course au leadership régional que se livrent les deux « frères ennemis » maghrébins. Elle donne un nouvel avantage au Maroc après la reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara occidental par les États-Unis dans les derniers jours du mandat de Donald Trump… et que Jo Biden s’est gardé de remettre en cause. Et elle contribue à isoler encore un peu plus l’Algérie, dont les relations sont rugueuses, chaotiques ou difficiles avec beaucoup de pays occidentaux (à commencer par la France) mais qui ne peut non plus rallier franchement le camp anti-occidental si elle veut se poser en alternative au gaz russe dans les mois et les années à venir. Coincé entre le risque de froisser Moscou et le besoin de profiter de l’aubaine pour accroître sa rente énergétique, Alger dispose d’une marge de manœuvre des plus étroites.
Mais si la décision espagnole a d’indéniables effets sur le rapport de force régional, elle nous donne à réfléchir à nous autres Occidentaux, de manière plus large et plus profonde, par sa contemporanéité même avec le conflit ukrainien. Car l’agression russe donne une importance renouvelée à la question des alliances : non seulement dans le présent immédiat, avec l’OTAN qui a retrouvé sa valeur et son sens aux yeux de beaucoup qui s’interrogeaient (y compris à ceux de celui qui la disait naguère en état de « mort cérébrale »…), mais pour l’avenir, tant on constate que la multipolarité vantée par les mêmes ces dernières années signifie au vrai désordre et fragmentation du monde, sur fond d’affrontement de blocs. Si, bel et bien, c’est une nouvelle « guerre froide » qui prend forme dans les combats en Ukraine, chacun sera sommé de choisir son camp et les systèmes d’alliances redeviendront cruciaux.
Le Maroc, une vigie précieuse sur des mondes en ébullition
Et il convient d’y réfléchir sérieusement car l’Occident a besoin d’alliés. De l’Indopacifique à la Méditerranée, en passant par le Moyen-Orient, une « internationale des bonnes volontés » doit s’élever contre l’alliance, informelle mais réelle, des puissances agressives et revanchardes. Des initiatives existent déjà. C’est le cas du Quad dans la région indopacifique, alliance entre quatre pays (Japon, États-Unis, Australie et Inde) qui devient un acteur incontournable face à la Chine. C’est le sens des accords d’Abraham, signés en septembre 2020 entre Israël, Bahreïn et les Émirats arabes unis et prolongé par l’annonce en décembre de la même année d’un accord de normalisation diplomatique entre Israël et le Maroc.
Sur notre flanc sud, le Maroc justement devra tenir une place singulière. C’est ce que fait l’Espagne à travers la décision qu’elle a prise sur le Sahara occidental. Seul pays stable du Maghreb et des rivages de l’immense océan sahélo-saharien, il constitue une vigie incontournable sur des mondes en ébullition, traversés de tensions et de menaces, et dont nous sommes en cours d’évincement. Une vigie et un bastion, car le pays voit converger vers lui plusieurs arcs de crise. A l’Est de la Méditerranée, le Moyen-Orient reste une poudrière et son éventuelle déflagration aurait d’importants effets au Maghreb et dans le bassin occidental de la Méditerranée. Déjà, la Libye est devenue un condominium russo-turc aux portes de l’Europe et la Tunisie s’enfonce dans la crise politique. Quant à l’Algérie, l’immobilisme ne saurait occulter l’usure du système politique. Sur ses frontières méridionales, le Maroc est confronté aux risques et aux menaces de la zone sahélo-saharienne, zone de tous les dangers où aucune solution politique ni locale, ni régionale n’émerge face au terrorisme islamique et à la décomposition politique.
Renforçons notre entente avec le Maroc
Dans la profondeur du continent africain, la forte croissance démographique, la fragilité des structures étatiques et l’impéritie de bien des dirigeants se conjuguent pour alimenter une immigration grandissante vers le Maghreb, avant de franchir la Méditerranée et de gagner la Vieille Europe. Bien sûr, la question migratoire peut être sujet de différends et même de vives tensions, comme on l’a vu entre l’Espagne et le Maroc au printemps 2021. Il convient de tenir un langage ferme et clair sur ce point (les pays du sud savent qu’il s’agit là de l’une de nos grandes fragilités). Mais il faut voir aussi comment la monarchie chérifienne, vaille que vaille, s’emploie à renforcer ses frontières, freinant ainsi la remontée vers le nord des migrants subsahariens.
Ce rapide tour d’horizon montre un fait nouveau pour nous autres Européens : l’accession du Maroc au rang de première puissance régionale. Cela change notre manière d’appréhender le pays. Dans un système d’alliances occidentales à rebâtir et à raffermir, cela multiplie les potentialités d’une entente renforcée avec lui.