6 avril 2022 • Entretien •
Le directeur général de l’Institut Thomas More, à l’origine du Comparateur des programmes publié sur le site du Figaro, évoque une campagne présidentielle avec « des invectives et des monologues ».
L’Institut Thomas More a compilé toutes les propositions des candidats à la présidentielle pour réaliser le comparateur de programmes publié sur le site du Figaro. Quelles leçons tirez-vous de ce travail ?
Ce comparateur, ce sont les programmes des douze candidats, présentés en 22 thèmes, 92 questions et plus de 650 réponses. Pour la plupart, ce sont des programmes très classiques, catalogues plus ou moins détaillés de mesures sectorielles (en-dehors de Nathalie Arthaud et Philippe Poutou). Dans une campagne qui n’a pas trouvé à se déployer, décevante et frustrante, ils jouent un rôle secondaire et ne semblent pas être un facteur de crédibilisation des candidats très significatif. Pour preuve, les candidats qui ont présenté les programmes les plus complets et les mieux chiffrés sont au plus bas dans les sondages, alors qu’avec le programme le plus court et le plus éthéré, Emmanuel Macron les domine aujourd’hui.
Un thème s’est-il imposé comme central dans cette campagne présidentielle ?
J’en vois deux principaux. Les questions internationales et de défense, compte tenu de la guerre en Ukraine et de ses conséquences géopolitiques. Et le pouvoir d’achat, qui est le premier sujet de préoccupation des Français depuis longtemps mais que l’augmentation des coûts de l’énergie et des matières premières (notamment alimentaires) renforce encore. Le réel a privé d’air les candidats qui croyaient pouvoir imposer leur thème – qu’il s’agisse d’Eric Zemmour et de la question identitaire, de Yannick Jadot et de l’urgence écologique ou même d’Emmanuel Macron et de la « France du travail ».
Au-delà de développer un catalogue de mesures, des candidats ont-ils réussi à dessiner une vraie vision pour la France ?
Dans une campagne sans hauteur et sans débat (notamment à cause du refus d’Emmanuel Macron de débattre au premier tour), pas vraiment. On peut dire que ceux qui ont le plus fait cet effort de vision sont Eric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon. Leurs France sont radicalement opposées mais au moins ont-ils tenté d’offrir une vision substantielle de notre pays. Quant à Emmanuel Macron, je l’ai dit, il est celui qui a présenté le programme le plus court. Sans doute avait-il l’intention de se démarquer des autres et de prendre de la hauteur. Mais au vrai, son discours flotte dans l’éther des mots creux de la communication. Concrètement, son programme tient en un mot : continuer.
Cette campagne présidentielle a été marquée successivement par l’épidémie de Covid et la guerre en Ukraine. Dans ce contexte de crise, les programmes des candidats intéressent-ils encore les Français ?
Non. Selon un sondage récent, seuls 52% des Français se disent intéressés par la campagne (contre 78% en 2017). Dans pareil contexte de rejet et d’indifférence, les programmes ne sont, encore une fois, pas un facteur déterminant. Mais, plus profondément, je pense qu’aucun candidat n’a su parler de la France aux Français. Chacun a parlé à un ou des « segments de l’opinion », comme disent les experts électoraux qui réduisent la politique au marketing, et qu’on trouve dans tous les camps. Au lieu de se proposer de les recoudre, chacun a acté les déchirures politiques, sociales ou identitaires du pays et a cherché à en faire son profit. Cela donne finalement une campagne assez antipolitique, réduite à des coups médiatiques, des invectives et des monologues, sans dépassement, sans grands desseins discutés et confrontés. Ce sont des passions tristes qui se sont exprimées. Personne n’a pris au sérieux le premier des maux (nombreux, j’en conviens) dont souffre le pays : sa fragmentation. Sans vouloir être oiseau de mauvais augure, je crois que ce rendez-vous manqué des Français avec eux-mêmes, qui est la fonction même de l’élection présidentielle, sera lourd de conséquences…