Lutter contre l’inflation par des aides d’État met la France en danger

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

26 juin 2022 • Chronique •


Le gouvernement veut budgétiser l’inflation, la faisant supporter par le budget, qui finance ces mesures, au prix de déficits colossaux, dénonce Sébastien Laye dans sa chronique pour Capital.


Pour la première fois depuis les débuts de la Vème République, l’indice de confiance des ménages a chuté juste après une élection présidentielle. Si on fait abstraction du contexte de crise politique larvée telle qu’attesté à nouveau par les législatives, ce recul s’explique par l’environnement inflationniste qui décime le pouvoir d’achat. Aux mois d’avril et mai, la consommation des ménages a reculé de 1,5%, menaçant d’entraîner la France dans un second trimestre de croissance négative (et donc une récession technique toujours possible après la quasi-stagnation du premier trimestre).

Comme jadis pour le chômage, nos gouvernants français ont fait le choix d’un traitement social de l’inflation. Mesurée par Eurostat à 5,8% fin mai, l’inflation paraît d’un point et demi inférieure à la moyenne européenne du fait de boucliers mis en place dans l’urgence : chèque énergie, prime Macron, indemnité inflation et autres mesures de soutien à la consommation (boucliers tarifaires). Cependant, nul ne sait si ce delta avec la moyenne européenne est explicable exhaustivement par ces mesures ou par certaines singularités de l’économie française (retard dans le cycle économique avec une inflation qui flamberait cet été ou croissance simplement trop atone pour jamais soutenir les niveaux inflationnistes de l’Allemagne ou des États-Unis).

Le gouvernement français tente en réalité de budgétiser l’inflation, la faisant supporter par le budget général de l’État qui finance ces mesures et ce au prix de déficits colossaux (déficit 2022 envisagé de 6% du PIB si la croissance se maintient au-dessus de 2,5%). Politiquement, on peut voir ces transferts sociaux comme une aide aux ménages. Économiquement, il n’en est rien : c’est la raison pour laquelle nous n’assistons pas aux mêmes augmentations de salaires qu’ailleurs en Europe. Car en réalité, il s’agit pour l’État d’aider indirectement les entreprises en leur permettant de ne pas entrer dans le cœur de la négociation salariale.

En délestant les entreprises d’une partie des charges induites par la hausse des salaires (le revenu supplémentaire pour face à l’inflation ne vient pas de hausse des salaires mais des aides de l’État), tout en assurant leurs débouchés (consommateurs maintenus à flot), comme pendant la crise du Covid, l’État se soucie d’abord des entreprises et budgétise les problèmes économiques. A chaque problème existe son aide sociale…

Comme avec le « quoi qu’il coûte » et le chômage partiel, ces transferts aux citoyens sont en fait des transferts déguisés aux entreprises. Ce dérivatif, coûteux, est censé éviter la fameuse boucle prix-salaires qui avait décimé notre économie dans les années 1970. Nous avons ainsi un État qui s’endette en sortant du cadre de sa mission, puisque la mission première de stabilisation des prix revient à la Banque centrale. Nos dirigeants s’engagent-ils dans cette voie parce qu’ils veulent apporter une réponse politique aux récriminations des citoyens ? Ou parce qu’ils ont un doute économique sur l’action des banques centrales (la hausse des taux d’intérêt) ? Probablement un peu des deux comme toujours en matière de politique économique.

Il y a un effet très inattendu de cette politique, passé inaperçu : pour la première fois depuis bien longtemps, nous sommes redevenus un des pays les moins chers d’Europe en termes de compétitivité-prix. Non pas en baissant les charges ou les impôts mais en offrant des salaires de misère en comparaison des autres pays européens. Mais surtout cette politique n’est pas viable : le coût délirant de cette politique économique qui dépasse l’aide sociale à proprement parler, déroute l’argent de tout investissement productif, grève notre futur et nous surexpose à la hausse des taux.

Est-il pertinent en période de hausse des taux de creuser nos déficits ? Cette nouvelle politique sociale de l’offre n’augure rien de bon en transformant l’État en collaborateur zélé de grandes entreprises qui ne suivent pas le contexte inflationniste et se contentent d’améliorer leurs marges en vendant plus chers leurs produits sans ajuster les salaires en France.