5 juillet 2022 • Opinion •
L’Allemagne ne sait comment se dépêtrer du désastreux imbroglio énergétique qu’elle s’est infligé, dont une des conséquences est un prix de l’électricité le plus élevé d’Europe (plus de 30 euros le kWh). Analyse de Jean-Pierre Schaeken Willemaers pour Trends-Teandances.
En l’absence d’énergie nucléaire et face aux difficultés d’approvisionner en gaz, le gouvernement allemand de coalition SPD (socialistes)/Grüne (écolos)/FDP (libéraux), acculé par sa politique incohérente, compte obliger (vive la démocratie !) les collectivités locales d’accélérer le déploiement des éoliennes pour répondre à la demande croissante d’électricité (projet de loi présenté le 15 juin 2022) : 1,8% à 2,2% de leur territoire, en fonction de la taille de ce dernier et des situations locales, d’ici à 2032 (0,8% actuellement sur l’ensemble du territoire allemand). Seules les zones de protections spéciales et les réserves naturelles seraient épargnées (1).
De telles contraintes, plus idéologiques que rationnelles, ne sont pas de nature à assurer un approvisionnement électrique stable, abondant, continu et bon marché, essentiel à la compétitivité d’un pays dont la prospérité dépend très largement de ses exportations (2). Des millions d’emplois dépendent de la vitalité de son commerce international.
L’Allemagne n’est pas seule à connaître une crise énergétique, l’UE de manière générale en pâtit également. Elle résulte d’une politique européenne décousue, focalisée sur une stratégie climatique exacerbée au mépris des besoins basiques et immédiats des populations et aux dépens de l’économie réelle. Les conséquences de cette politique se manifestent, dans le cadre de la guerre en Ukraine, par la pénurie de gaz indispensable pour compenser l’intermittence des productions éolienne et photovoltaïque.
Le 13 avril 2022, les cinq principaux instituts allemands d’études économiques (DIW, IFO, IFW, IWH et RWI) ont affirmé que si l’Allemagne interrompt maintenant ses approvisionnements énergétiques en provenance de la Russie, elle basculera dans la récession. La banque Barclays va dans le même sens en déclarant, le 1er mai dernier, qu’un embargo de l’UE sur les produits énergétiques russes mettrait l’Europe en danger de récession profonde qui entraînerait une baisse du PIB de 5% si l’embargo s’accompagnait d’un rationnement du gaz.
Plutôt que de consacrer des sommes énormes à la déconstruction d’un système énergétique performant et au développement excessif du renouvelable intermittent, dont la production est et restera en deçà de ses besoins, l’Allemagne n’utiliserait-elle pas mieux ses ressources financières dans les technologies de l’avenir, entre autres, l’intelligence artificielle (IA), secteur où elle prend du retard, et dans la résolution de sa crise de structure ? Elle jouit d’un présent très prospère qui pourrait bientôt appartenir au passé. L’ordre économique dont elle a bénéficié est en train de disparaître et l’Allemagne vacille sur ses bases au milieu du monde qui advient (3).
L’économie mondiale est entrée dans sa phase géopolitique. On ne parle plus simplement d’économie, mais de géo-économie. C’est sur ce terrain que les États-Unis et la Chine transposent aujourd’hui leur rivalité (4). Il s’agit de zones d’influence commerciale, d’intérêts géostratégiques (5), de domination technologique, de maîtrise des matières premières, de guerres des monnaies, etc.
Le gouvernement de coalition allemand a-t-il pris la mesure des défis du futur ? Se rend-il compte de l’importance de la disponibilité d’une énergie abondante et fiable dans un monde de plus en plus dépendant de technologies très énergivores (6) ? Ignorer cette réalité, c’est régresser au niveau d’une puissance secondaire. Le miracle allemand ne serait-il bientôt qu’un souvenir ? L’excédent de la balance commerciale de ce grand pays a reculé en 2021 pour la cinquième année consécutive à 173,3 milliards d’euros (7) alors qu’il était de 247,9 milliards d’euros en 2017. La moitié de ses surplus est liée à l’industrie automobile et 40% aux machines et équipements (8).
En ce qui concerne l’industrie automobile, les trois constructeurs géants Daimler, BMW et Volkswagen ont affiché des résultats florissants en 2021 et les perspectives pour 2022 sont favorables, malgré des ventes en repli en 2021 par rapport à 2020 et plus encore vis-à-vis des années avant COVID. Toutefois, les exportations continuent de diminuer et les constructeurs allemands ont du mal à s’adapter à la mutation de l’automobile comme voulu par l’Allemagne et l’UE dans le cadre de leur politique bas carbone. Ils, en outre, ont pris du retard dans les domaines de la numérisation et de l’intelligence artificielle. Ainsi, les voitures allemandes sont loin des performances de conduite autonome de Waymo, filiale de Google, ou de General Motors Cruise. Prenant acte de leur retard, Daimler et BMW ont annoncé, début juillet 2019, un accord inédit pour investir un milliard de dollars en commun. Pour combler son retard, Volkswagen est devenu actionnaire de la start-up américaine Argo AI, à parts égales avec Ford (9).
Les constructeurs allemands tentent de sauver la production de leurs voitures à combustion interne, malgré les règlements toujours plus stricts en matière d’émissions de CO2, en remplaçant le carburant fossile par de l’hydrogène, considéré comme combustible vert. L’aboutissement de cette alternative dépend du prix du pétrole brut, de la hauteur de la taxe carbone et du degré de défiance du public à l’égard de l’hydrogène qu’ils considèrent comme dangereux. Il implique, bien entendu, de sérieuses améliorations technologiques (entre autres, la réduction des émissions de NOx) et donc de lourds investissements, l’installation d’une infrastructure coûteuse (notamment les stations de recharge et le réseau de gazoducs), inexistante actuellement, un stockage maîtrisé et efficace de l’hydrogène et une diminution drastique du coût de production de celui-ci. L’hydrogène n’est manifestement pas la solution miracle. Ce n’est pas demain que routes et rues seront envahies de voitures à l’hydrogène.
Les conséquences désastreuses de leur politique climatique et énergétique amèneront-elles le chancelier Scholtz et les libéraux à plus de rationalité et de lucidité ?
Notes •
(1) Cette stratégie s’inscrit dans la réorientation plus générale du débat allemand sur la politique économique qui semble de plus en plus dépasser l’opposition « croissance-redistribution, économie-écologie ».
(2) 30% des plus grandes entreprises allemandes réalisent 80% de leurs revenus à l’étranger. Les entreprises de taille intermédiaire à capital familial, connaissent également un grand succès à l’exportation.
(3) Roderick Kefferpütz, L’Allemagne, la fin de l’innocence, Institut Montaigne, 4 octobre 2019.
(4) Ibid.
(5) La route de la soie, notamment maritime, voulue par Pékin en est une illustration symptomatique.
(6) À titre d’exemple, la quantité de calculs nécessaires aux applications les plus avancées de l’intelligence artificielle explose d’un facteur 10 chaque année, ce qui entraîne une considérable croissance des besoins énergétiques (« L’IA s’interroge sur la voracité énergétique », Data Analytics Post, 5 novembre 2020).
(7) « Allemagne, 5ème recul d’affilée de l’excédent commercial en 2021, freiné par les pénuries », Le Figaro, 9 février 2022.
(8) Robin Rivaton, « Pourquoi l’Allemagne est entrée en déclin ? », 13 août 2019, Marianne TV.
(9) Benoît Thery, « Argo AI, la start-up spécialisée dans la conduite autonome, atteint 7,5 milliards de dollars de valorisation », Clubic, 9 août 2020.