18 juillet 2022 • Entretien •
Les confinements, notamment à Shanghai et les perturbations sur les chaînes d’approvisionnement, ont perturbé l’économie chinoise. Hugues Eudeline, chercheur associé à l’Institut Thomas-More, analyse les conséquences géopolitiques de ce ralentissement.
Pour la première fois depuis 1976, l’économie américaine devrait connaître une croissance plus forte (+2,8 %) que celle de la Chine (+2 %). Les confinements répétés dans les métropoles chinoises sont-ils les seuls responsables de déclin ?
Ce ralentissement est relatif. Il y a actuellement une augmentation des exportations très importante, et un ralentissement des importations. Ces dernières sont à leur plus bas niveau depuis trois ans, ce qui indique une faiblesse de la construction, habituellement un moteur de croissance importante. Il y a aussi une baisse assez importante des importations d’hydrocarbures y compris de charbon, due en partie à une volonté politique. La Chine ne commande plus du tout de charbon d’Australie, notamment pour les punir d’avoir rejeté la 5G chinoise. Il y a une baisse des importations d’hydrocarbures et donc de matières premières qui révèlent un problème en Chine. Le Covid joue aussi un rôle important puisqu’il a conduit à la fermeture de ports. Or, l’essentiel de l’économie chinoise repose dans les exportations. Fermer beaucoup de ports pour un ou deux cas de Covid est démesuré et cause des ralentissements importants. Les catastrophes naturelles ont également pesé sur l’économie chinoise. Enfin, la guerre en Ukraine cause un changement dans le trafic maritime dont les conséquences sont encore difficilement visibles pour le moment. D’une part, le désengagement de certains ports est favorable au commerce. D’autre part, des problèmes financiers liés au taux d’intérêt surviennent.
L’économie chinoise reste très dépendante d’approvisionnements extérieurs en énergie, céréales et autres produits de base importés, dont les cours s’envolent. Le soutien tacite de Xi Jinping à l’invasion russe en Ukraine est-il une erreur géopolitique ?
La Chine n’a pas vraiment soutenu la Russie. Les Chinois s’interdisent d’intervenir dans les affaires intérieures d’autres pays parce qu’ils veulent reconnaître tout le monde. Ils ont par exemple reconnu l’Afghanistan. C’est une constante chez eux. Ils ont établi un accord avec la Russie lorsque Poutine est venu à Pékin pour les jeux olympiques. Ce dernier a affirmé que la Chine et la Russie ont établi des accords actuels qui vont bien au-delà de ce qu’il y avait pendant la guerre froide (avant 1960 puisque après ils ont quasiment été en état de guerre jusqu’à la chute du mur). La Chine a refusé de condamner l’invasion de l’Ukraine et continue de faire des affaires avec la Russie, entre autres dans les importations d’hydrocarbures, puisque cela lui permet d’obtenir des hydrocarbures moins chers. Mais un certain nombre de pipelines ne sont pas terminés et prennent du temps. Le reste des importations vient donc de la mer, et on constate actuellement une baisse de celles-ci.
Les solutions proposées par Xi Jinping, notamment des surinvestissements dans le domaine des infrastructures, peuvent-elles enrayer ce déclin ?
Cela pourrait être le cas s’il n’y avait pas la baisse des importations. Une grande partie des importations qui sont actuellement en baisse participaient à la construction d’infrastructures en interne. Je ne pense donc pas que cela puisse vraiment enrayer. Toutefois, il est difficile d’avoir une vision claire. Un certain nombre de choses se passe actuellement dans le monde, tant le Covid que les problèmes géopolitiques, financiers… Tout cela étant en train de se mettre en place, et ne s’inscrivant pas dans une période stable, il est difficile de savoir lesquels de ces critères vont le plus peser dans l’économie. L’objectif de croissance du PIB de 5,5% pour 2022 ne sera probablement pas atteint. Il reste difficile de faire des prédictions alors que l’année n’est pas terminée.
Peut-on imaginer que le rêve de Xi Jinping de voir son pays devenir la première puissance mondiale en 2049 puisse ne pas se réaliser ?
2049 est encore un peu loin et on n’a aucune idée de ce qui pourrait se passer entre-temps. Mais on peut tirer un certain nombre d’informations du plenum du comité central du Parti communiste de novembre 2021. Il est intéressant de voir que Xi Jinping n’a pas parlé des nouvelles routes de la soie, de l’initiative des nouvelles routes et de la ceinture, mais de prospérité commune. Dans le texte qui est sorti de ce plenum, Xi Jinping est mis en avant, voire même est quasiment déifié. Sur les quatorze pages de l’histoire du parti communiste, sept concernent ses réalisations alors qu’il n’a agi qu’une dizaine d’années.
Il semblerait que Xi Jinping parle moins des initiatives des nouvelles routes de la soie car cela ne marche pas aussi bien que cela aurait dû. Les Chinois prévoyaient des échanges parfaits. De plus en plus de pays auraient dû vouloir des infrastructures, sur lesquels ils allaient pouvoir mettre la main en utilisant le piège de la dette. Ce piège se fait d’ailleurs actuellement très durement ressentir parle Sri Lanka dont la population s’est révoltée contre son premier ministre la semaine dernière.
La Chine avait une vision mondiale qui résidait dans l’amélioration partout des infrastructures essentiellement maritimes. Plus de 80% des échanges dans ce cadre se faisant par la mer, le Covid et la fermeture des ports au niveau mondial mettent aujourd’hui de sérieux bâtons dans les roues de son projet. Or, Xi Jinping en avait absolument besoin pour permettre un développement rapide de la Chine. Il avait besoin d’une croissance du PIB plus forte qu’elle ne l’est actuellement. Fermer les ports les plus grands au monde du point de vue des porte-containers pendant une période significative est une catastrophe économique.
Xi Jinping va-t-il devoir revoir ses ambitions à la baisse ? Comment cette situation peut-elle se traduire ?
Xi Jinping est devenu «président à vie». Son projet économique était tellement énorme qu’il nécessitait une continuité dans l’action pendant plus de 10 années. Mais l’accroissement économique, et donc l’aide à l’ensemble de la population chinoise à sortir de la pauvreté ou de la semi-pauvreté, est ralenti, ce qui cause évidemment du mécontentement. Les populations des provinces enclavées qui n’ont pas connu le développement phénoménal des régions côtières risquent de commencer à poser des questions au parti, à faire de la politique. Chez les dirigeants chinois, de nombreux ennemis attendent le moindre faux pas pour prendre la place de Xi-Jinping.
Le risque alors, s’il y a des troubles, est que Xi Jinping choisisse le nationalisme et attaque Taïwan. La crise économique, si elle se maintient, pourrait dégénérer en une attaque de Taïwan, en profitant du fait que les États-Unis soient en partie occupés par l’Ukraine. Cependant, aujourd’hui les Américains ne se sont pas lancés directement dans une guerre contre la Russie parce qu’ils s’attendent à ce qu’il en ait une à Taïwan. On ne fait jamais deux conflits majeurs simultanément. Durant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont donné la priorité à la guerre en Europe, devant les combats dans le Pacifique. Tous ceux qui avaient donné deux conflits majeurs en même temps ont perdu, notamment les Allemands.