Novembre 2022 • Note d’actualité 84 •
Les armées ukrainiennes ont repris Kherson et s’approchent de la Crimée, rattachée manu militari à la Russie en 2014, envers et contre le droit international. Tout n’est pas joué mais cette nouvelle défaite, après celles de Kiev et de Kharkiv, et l’incapacité russe à conquérir la totalité du Donbass, réduisent le pouvoir et l’influence du Kremlin dans ce que l’on considère à Moscou comme l’« étranger proche ». C’est le cas au Caucase du Sud, la prétention russe à stabiliser la situation, après la guerre des Quarante-quatre Jours (automne 2020), se heurtant à la brutalité des faits. Les incursions répétées de l’armée azerbaïdjanaise en Arménie, au-delà du Haut-Karabakh, et les vains appels du gouvernement arménien à la Russie, fragilisent plus encore l’OTSC. Alors qu’Emmanuel Macron rencontrera le premier ministre arménien Nicolas Pachinian, le 19 novembre, il importe que les puissances occidentales agissent de concert et reprennent l’initiative dans le Caucase du Sud.
Il est entendu que seule une lourde défaite de Vladimir Poutine en Ukraine et le choc politique consécutif pourraient altérer le « système russe » et, pendant un certain temps du moins, déterminer une autre orientation géopolitique. C’est ce qu’enseigne l’histoire de la Russie et de ses cycles de puissance. Aussi la reprise ukrainienne de Kherson est-elle évidement une bonne chose. Il serait cependant erroné de s’installer dans le temps de la finalité accomplie : cette guerre n’est pas achevée et la menace russe multiforme qui pèse sur l’Europe constitue un élément durable du paysage géopolitique. Aussi une grande stratégie occidentale devra-t-elle comprendre un volet diplomatique visant à modifier le rapport global des forces avec la Russie-Eurasie. A l’échelle continentale, l’idée directrice sera d’exploiter l’affaiblissement de cette dernière, pour remettre en cause sa domination vacillante sur l’Eurasie post-soviétique. Notamment dans le Caucase du Sud, cette région aux confins orientaux de l’Europe où le Kremlin joue les courtiers malhonnêtes entre Arméniens et Azerbaïdjanais.
Au cœur du conflit entre les deux républiques caucasiennes d’Arménie et d’Azerbaïdjan se trouve le Haut-Karabakh (le « jardin noir » en turc), Artsakh en langue arménienne, une région de moyenne montagne du Caucase du Sud (4400 km² ; 145 000 habitants). Peuplée à 78% d’Arméniens, cette région autonome d’Azerbaïdjan passa sous le contrôle politique et militaire de l’Arménie lorsque l’URSS se disloqua, à l’issue d’un conflit armé et d’opérations de nettoyage ethnique (1988-1994). Historiquement ballotté entre les empires, le khanat du Karabakh fut ôté par la Russie tsariste à l’Empire perse des Séfévides à la suite du traité de Goulistan (1813). La plaine du Haut-Karabakh était déjà peuplée d’Arméniens chrétiens et d’Azéris musulmans, mais le nombre des premiers s’accrut avec la mise en valeur de l’espace. En 1918, la région fut déjà l’objet d’un conflit armé entre les deux populations, ce conflit menant entre autres facteurs à l’éclatement de la Transcaucasie indépendante en trois États : la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
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L’auteur
Jean-Sylvestre Mongrenier est directeur de recherche à l’Institut Thomas More. Titulaire d’une licence d’histoire-géographie, d’une maîtrise de sciences politiques, d’un Master en géographie-géopolitique et docteur en géopolitique, il est professeur agrégé d’Histoire-Géographie et chercheur à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis). Il est conférencier à l’IHEDN (Institut des Hautes Études de la Défense Nationale, Paris), dont il est ancien auditeur et où il a reçu le Prix Scientifique 2007 pour sa thèse. Officier de réserve de la Marine nationale, il est rattaché au Centre d’Enseignement Supérieur de la Marine (CESM), à l’École Militaire. Il est notamment l’auteur de Géopolitique de l’Europe (PUF, « Que sais-je ? », 2020) et de Le Monde vu de Moscou. Géopolitique de la Russie et de l’Eurasie postsoviétique (PUF, 2020) • |