Novembre 2022 • Rapport 27 •
Une politique migratoire hors de contrôle et inefficace depuis quarante ans
Début 2023, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin présentera au Parlement un nouveau projet de loi sur l’immigration. Ce texte sera le vingt-neuvième consacré à la politique migratoire depuis 1980, soit un tous les neuf mois en moyenne depuis quarante-deux ans. Ces chiffres disent deux choses : l’importance primordiale qu’a pris la question migratoire dans le débat public ces dernières décennies et l’incapacité des gouvernements successifs, au vrai de l’État lui-même, à engager des politiques suffisamment structurelles et fortes pour obtenir des résultats (sur les flux, l’intégration, la délinquance, etc.). Ces deux chiffres disent tout simplement que la politique migratoire est de longue date hors de contrôle et inefficace.
Sévérité affichée et laxisme assumé : un projet de loi irresponsable et insouciant
Que contient le projet loi de l’exécutif ? Pour ce qu’on en connaît à ce jour, il s’organisera autour de trois axes : une série de mesures pour rendre les obligations de quitter le territoire français (OQTF) plus efficaces, avec l’inscription des immigrés illégaux au fichier des personnes recherchées, la suspension pour eux des aides sociales (comme le RSA ou les APL) ainsi que de l’accès au logement social ; un examen de français obligatoire pour les titres de séjour valables plusieurs années, comme c’est déjà le cas pour l’obtention de la nationalité française, avec des épreuves écrites et orales ; la création d’un titre de séjour « métiers en tension », afin de sortir de l’illégalité les travailleurs des secteurs en manque de main d’œuvre. Nous discuterons ces mesures en détails dans la deuxième partie du rapport. Mais disons d’ores et déjà que c’est trop peu et très plat : très loin des réponses adaptées à l’ampleur et à la profondeur du problème migratoire français. Un peu de sévérité affichée, beaucoup de laxisme assumé : le « en même temps » irresponsable et insouciant que nous connaissons depuis cinq ans.
Une politique migratoire impuissante qui se nourrie d’une vision multiculturaliste de la société et d’un aquoibonisme technocratique
A l’évidence, le quinquennat Macron II sera dans le droit fil du quinquennat Macron I : des interventions musclées et des rodomontades de temps à autres ne masquant guère une politique migratoire tout à fait permissive. Un seul chiffre pour s’en convaincre (qu’on détaillera en première partie) : entre 2017 et 2021, la France a accueilli en moyenne 255 000 immigrés légaux par an, soit 1,28 million de personnes en cinq ans, ce qui représente 1,9% de sa population totale. Au-delà des aspects techniques, des moyens disponibles, des questions de droit, il faut s’interroger sur les raisons de cette inaction coupable. Et il faut comprendre que c’est la vision qu’Emmanuel Macron a de la problématique migratoire, et par extension identitaire, qui est la source du problème : la politique migratoire qu’il conduit se nourrie de la vision multiculturaliste de la société qui est la sienne. Cette vision idéologique se conjugue d’ailleurs fort bien à une sorte d’aquoibonisme technocratique. Comme l’écrit la démographe Michèle Tribalat, « le pouvoir politique ayant consenti en quelque sorte à sa propre impuissance, il a trop tendance à penser sa mission comme étant essentiellement pédagogique à l’égard d’une opinion publique qui croit encore que la question migratoire est un sujet politique. Pour une bonne partie des élites, une limitation de l’immigration étrangère n’apparaît plus comme une option politique ». Nous touchons là au point nodal du problème.
Le problème migratoire est une question existentielle pour le peuple français
Si l’immigration est une question si essentielle, un sujet si passionnel et inflammable, ce n’est pas parce que les Français seraient racistes ou intolérants (l’accueil de l’immigration massive depuis cinquante ans prouve le contraire). C’est pour deux raisons. D’abord parce qu’elle a pris une telle ampleur qu’elle met en jeu les équilibres sociaux et la « sécurité culturelle » de la nation. Le problème migratoire n’est en effet pas une variable de la politique économique et sociale : c’est une question existentielle en ce qu’elle touche à l’identité et à l’avenir du peuple français et de sa culture. Ensuite parce que beaucoup de Français sentent, devinent et comprennent que la politique migratoire telle qu’elle est conduite est incapable de répondre aux enjeux présents et à venir des phénomènes migratoires, aussi bien français, européens que mondiaux. « Le peuple a peur, écrit le linguiste et universitaire italien Raffaele Simone qu’on ne saurait regarder comme un dangereux extrémiste, il craint que la Grande Migration ne retire des ressources aux natifs et qu’elle ne change pour toujours la face de l’Europe ». Tel est le véritable enjeu du problème migratoire français.
Pour une politique migratoire intégrale
C’est donc à ce niveau que nous devons hisser la réponse. Convaincus qu’il s’agit de l’une des questions les plus éminemment politiques de notre temps, nous proposons dans ce rapport une politique migratoire intégrale. Nous la qualifions d’intégrale pour deux raisons. D’abord, parce qu’elle propose de réformer tous les leviers disponibles en vue de répondre à ce qui doit être l’objectif prioritaire d’une politique migratoire refondée : la baisse drastique des flux légaux et illégaux. Ensuite parce qu’elle convoque un volontarisme culturel au service d’un objectif d’assimilation assumé, plutôt que de simple intégration. En effet, on ne peut penser l’immigration, c’est-à-dire le flux de personnes étrangères venant s’installer sur le sol national, de manière définitive pour un grand nombre d’entre eux, sans penser la façon dont ils prennent place dans la communauté politique et culturelle qui leur préexiste. Le modèle de l’intégration, privilégié depuis quatre décennies, montrant désormais sa faillite au grand jour, il est temps de passer à autre chose. Des contributions récentes permettent de penser l’assimilation à nouveaux frais. Nous proposons d’en tirer des pistes d’action politiques renouvelées.
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L’auteur du rapport
Jean-Thomas Lesueur est directeur général de l’Institut Thomas More. Titulaire d’un Master d’histoire moderne (Paris IV Sorbonne), il a débuté sa carrière comme rapporteur de groupe de travail à l’Institut Montaigne avant de participer à la création de l’Institut Thomas More en 2004. D’abord directeur des études, il est devenu directeur général en 2007. Au sein de l’équipe de l’Institut Thomas More, il supervise le suivi de la vie politique française. Il s’intéresse en particulier aux blocages politiques et institutionnels propres au « modèle français », à la décentralisation et à la démocratie locale. Il réfléchit également aux questions migratoires et aux problématiques politiques liées aux enjeux culturels et identitaires en France et en Europe • |