1er décembre 2022 • Entretien •
Dans le rapport « Immigration : propositions pour une politique intégrale » qui vient de paraître, le directeur général de l’Institut Thomas More donne ses propositions pour transformer la politique migratoire de la France. Explications détaillées pour Le Figaro.
Le gouvernement veut créer un titre de séjour « métiers en tension ». La France a-t-elle besoin d’une immigration de travail ?
Cette proposition symbolise à elle seule l’impuissance et les facilités technocratiques qui font toute la politique de cet exécutif. Rappelons que, selon l’INSEE, les immigrés représentent 17,3% des chômeurs alors qu’ils représentent 10,6% de la population active et qu’en 2019 le taux de chômage des étrangers (15,7%) était deux fois plus élevé que celui des personnes de nationalité française (7,8%).
Ces éléments suffisent à condamner la création d’un titre de séjour « métiers en tension ». Mais trois autres arguments plaident également contre. Le premier est que cela revient à une régularisation de fait de travailleurs illégaux et à une renonciation à la lutte contre l’immigration illégale. Le deuxième est constitué par la réfutation, désormais solide et documentée, de la thèse de l’apport supposé indispensable des immigrés pour occuper certains postes dédaignés par les « natifs ». Cette variable d’ajustement, présentée comme la seule possible, néglige la possibilité d’un ajustement par les salaires. Le troisième est plus structurel encore. Le projet du gouvernement revient en effet à acter le fait que la France n’attire pas majoritairement des immigrés diplômés mais plutôt des immigrés peu qualifiés – qu’on retrouve dans la restauration et les chantiers du bâtiment. C’est un aveu d’impuissance, pas une ambition pour le pays.
Vous jugez par ailleurs, arguments à l’appui, qu’il faut réduire l’immigration légale. Dans quelles proportions ?
Certains ont réagi à la sortie de mon rapport en considérant que l’objectif de baisse de l’immigration légale à moins de 75 000 entrées par an, que je propose, était un objectif beaucoup trop modeste. Il représente pourtant une diminution de plus de 72 % par rapport au chiffre de 2021 (270 925 entrées). Ce n’est pas un mince effort. L’immigration zéro est une chimère qu’il est vain de promettre. S’il faut restreindre les quatre types d’immigration légale (raisons familiales, travail, études supérieures, asile), vous ne les amènerez jamais au zéro rêvé par certains.
Ce n’est d’ailleurs pas souhaitable : s’il faut, par exemple, assurément renouveler la politique d’accueil des étudiants étrangers (87 694 en 2021) pour lutter contre le phénomène des « faux étudiants » et faire venir les meilleurs, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui, il convient de continuer d’avoir l’ambition d’en accueillir pour faire rayonner la langue, l’enseignement supérieur et la recherche française.
Sur quelles bases refonder notre politique d’immigration ?
Je suggère dix leviers d’action (et quarante-huit propositions opérationnelles), parmi lesquels le rétablissement de l’exigence d’assimilation, le retour à la France de la maîtrise de ses instruments juridiques, la restriction de l’accès au regroupement familial, le renforcement des conditions d’accès à la nationalité française, la limitation de l’immigration de travail, de nouveaux outils contre l’immigration illégale, la refondation de la politique française de l’asile. Tous ces leviers sont importants, car chacun a des effets sur les autres: la « pompe aspirante » du regroupement familial pousse à une politique intense de naturalisations, le détournement du droit d’asile alimente une très forte immigration clandestine et conforte une situation d’illégalité tolérée de grande ampleur ; le développement d’un droit supranational, particulièrement européen, entrave la France dans bon nombre des aspects de sa politique migratoire.
Ces dix leviers comptent donc, mais, pour répondre précisément à votre question, je dirais que les trois principaux piliers d’une telle refondation seraient : la fixation de la baisse des flux migratoires comme objectif absolu de la politique d’immigration ; l’exigence d’assimilation remise au cœur de cette politique tant il est légitime de l’exiger des personnes qui prétendent vivre en France ; et, puisque le droit entrave aujourd’hui si puissamment le politique, le retour urgent à la France de la pleine maîtrise de ses instruments juridiques.
Mais la France peut-elle redevenir maîtresse de sa politique migratoire malgré les juridictions de l’Union européenne ?
Les juridictions européennes (Cour de justice de l’Union européenne et Cour européenne des droits de l’homme) ne sont pas seules en cause. Les cours nationales (Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour de cassation) le sont aussi. Et ce n’est un secret pour personne que, comme l’a écrit dans vos colonnes l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel Jean-Éric Schoettl, « depuis une quarantaine d’années, les normes juridiques supérieures (Constitution, traités et surtout jurisprudence des cours suprêmes) en matière de droits fondamentaux ont toujours plus étroitement enserré la marge d’action des pouvoirs publics ».
Il faut donc saluer la proposition de cet éminent juriste consistant à inscrire dans la Constitution une possibilité, pour le Parlement, de « passer outre » les jurisprudences des cours suprêmes en forçant au maintien en vigueur d’une disposition législative qui aurait été déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel, ou contraire à un traité européen par une Cour européenne, dès lors que le Parlement français se prononcerait expressément en sa faveur par un vote à la majorité qualifiée. Afin d’éviter, par le biais du mécanisme juridique de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), la censure postérieure du texte ainsi confirmé par le Parlement, il devrait être soumis à approbation par la voie référendaire. Voie référendaire dont il serait bon, comme l’ont proposé plusieurs responsables politiques, dont Bruno Retailleau récemment, de retrouver l’usage tant il apparaît évident désormais que le problème migratoire est devenu une question existentielle pour le peuple français.
Dans ce contexte, quelle appréciation portez-vous sur l’affaire de l’Ocean Viking ?
Dans cette affaire de l’Ocean Viking, la France est trois fois humiliée : par une ONG qui lui dicte sa conduite, par la fuite de ces mineurs et par une justice totalement dépassée qui libère la plupart des migrants. Elle symbolise l’impuissance et l’enkystement d’une politique migratoire incapable de décider qui entre sur le territoire français, selon quelles règles et à quelles conditions. Servie par un droit (interne et international) essentiellement favorable aux migrants, des procédures byzantines et des moyens insuffisants, l’« idéologie migratoire », parfaitement décrite par l’essayiste Vincent Coussedière, a gagné.
Elle s’appuie en outre sur une idéologie multiculturalisme qui n’a à la bouche que «nos valeurs républicaines» et domine les esprits non seulement de toutes les gauches mais de l’actuel exécutif – on le voit dans la politique migratoire comme dans la politique éducative, culturelle, sociétale. La macronie n’est libérale qu’en ces matières (où il ne faudrait pas l’être). À quoi s’ajoute, chez elle, ce que j’appelle un «aquoibonisme» technocratique que la démographe Michèle Tribalat a parfaitement décrit : « Le pouvoir politique ayant consenti en quelque sorte à sa propre impuissance, il a trop tendance à penser sa mission comme étant essentiellement pédagogique à l’égard d’une opinion publique qui croit encore que la question migratoire est un sujet politique. Pour une bonne partie des élites, une limitation de l’immigration étrangère n’apparaît plus comme une option politique ».