Défense, numérique, industrie · Poser des actes de souveraineté au service de la France

Cyrille Dalmont, Sébastien Laye et Jean-Sylvestre Mongrenier, directeurs de recherche à l’Institut Thomas More

Décembre 2022 • Note 58 •


Le retour en grâce d’un mot largement démonétisé

La « souveraineté » est en passe de devenir l’un de ces mots que le bavardage politique quotidien démonétise à force d’emploi, l’un de ces totems de la communication politique qui masquent un vide en rassurant celui qui le prononce, l’un de ces mantras que les Français entendent sans écouter. Il en est ainsi de la « République », de la « laïcité », du « vivre-ensemble » et de quelques autres. La crise sanitaire hier, la crise énergétique et la guerre en Ukraine aujourd’hui, sont l’occasion du retour en grâce d’un mot dont trente années de « mondialisation heureuse » et de disparition programmée des grandes guerres interétatiques nous avaient fait un peu perdre le sens – en même temps que celui du tragique de l’histoire.

Le nouveau mantra d’Emmanuel Macron

La « souveraineté » est donc depuis deux ou trois ans devenu le passage obligé, la référence magique de tout discours politique. Le président Emmanuel Macron, pourtant l’homme de la « start up nation » et de la « disruption », l’emploie à tout va. Dès le début de la pandémie en 2020, il expliquait ainsi avoir l’ambition de « rebâtir notre souveraineté nationale et européenne » et affirmait que nous devions « relocaliser et recréer des forces de production sur nos territoires. La souveraineté sanitaire et industrielle sera l’un des piliers du plan de relance ». De son discours de la Sorbonne, qui inaugurait son premier quinquennat, à aujourd’hui dans son soutien à l’Ukraine, en passant par son entretien de novembre 2019 à The Economist (dans lequel il diagnostiquait avec préscience la « mort cérébrale » de l’OTAN…), il célèbre « l’autonomie stratégique » de l’Union européenne et même « l’Europe souveraine ».

Le paravent de l’impuissance et de l’immobilisme

Cet emploi ad libitum est l’un des deux écueils dont il convient de se prémunir si l’on veut prendre au sérieux la notion de « souveraineté » et en faire le moteur d’une action politique substantielle. Il sert ici à masquer l’impuissance et l’immobilisme. Un exemple ? Le nucléaire. Chacun se souvient d’un Emmanuel Macron annonçant en février dernier au lendemain de l’agression russe en Ukraine qu’« aucun réacteur en état de produire ne doit être fermé » et la construction de 14 réacteurs. La situation l’exigeait compte tenu de la dépendance européenne aux approvisionnements russes et c’était contribuer au renforcement de la souveraineté française. Près de dix mois et plusieurs discours après, c’est toujours la loi énergie-climat du 8 novembre 2019, qui fixe l’objectif de réduction de la dépendance de la France au nucléaire (« La diversification du mix-électrique, dans le cadre d’une stratégie de réduction lissée et pilotée des capacités nucléaires existantes, sera poursuivie pour atteindre 50 % de la production en 2035 »), qui constitue le cadre de la politique énergétique française. Au-delà des mots, l’inertie, l’inaction, la pusillanimité.

Le risque de l’absolutisation de la souveraineté

L’autre écueil serait au contraire l’absolutisation de la souveraineté, devenu le mot de passe de l’étatisme, de l’extension sans fin du domaine de l’État, du fiscalisme et de l’économie administrée. Dans une France suradministrée, le risque n’est pas mince de voir l’État retremper sa légitimité dans le bain d’une souveraineté mise à toutes les sauces. Cette tentation est désormais bien visible dans la nouvelle frontière que semble constituer la « planification écologique » pour l’exécutif.

Vers une conception altière, agile et bien comprise de la souveraineté

Bien au contraire, si l’on veut que l’État se concentre sur ses fonctions régaliennes, si l’on souhaite qu’il retrouve vision, puissance et allant dans les champs où il est seul à pouvoir agir et bien agir, il faut développer une conception à la fois altière, agile et bien comprise de la souveraineté. Ainsi des questions agricoles et alimentaires, ou industrielle (comme le montre Sébastien Laye dans ces pages) : l’État peut et doit créer un cadre juridique protecteur et favorable aux acteurs économiques nationaux, à la recherche, à l’innovation, mais sûrement pas se substituer à eux. De même, Cyrille Dalmont montre bien qu’en matière numérique, s’il faut tout changer dans le droit de la concurrence pour préserver ce qui reste de l’écosystème numérique européen et réduire nos dépendances, c’est à l’échelon européen qu’il faut agir.

Pour une souveraineté française en acte

On le comprend donc, la souveraineté n’est ni un simple élément de langage, ni un absolu en soi. Elle est une boussole ou un moyen, comme on voudra, aidant à agir avec résolution et ambition au service de notre pays. En dessiner les voies dans trois champs stratégiques, la défense, le numérique et l’industrie (à travers l’exemple de l’industrie du médicament), est la raison d’être de cette note de l’Institut Thomas More. Ses auteurs, Cyrille Dalmont, Sébastien Laye et Jean-Sylvestre Mongrenier, ne se contentent pas d’affirmer des principes. Leurs propositions donnent sens et direction à une souveraineté française en acte.

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Les auteurs de la note

Cyrille Dalmont est directeur de recherche à l’Institut Thomas More. Titulaire d’un Master de droit public, ancien conseiller parlementaire à l’Assemblée nationale et ancien chargé de mission dans une grande métropole française, il a aujourd’hui rejoint le secteur privé. Au sein de l’Institut Thomas More, il analyse les mutations sociales et politiques provoquées par la numérisation massive de nos sociétés. Ses recherches portent actuellement sur deux axes principaux : les questions de régulation et les enjeux éthiques liés au déploiement du numérique et son impact sur les droits fondamentaux et les libertés publiques ; ainsi que les enjeux de souveraineté numérique, tant au niveau national que de l’Union européenne 


Sébastien Laye est directeur de recherche à l’Institut Thomas More. Diplômé d’HEC et de Sciences Po Paris, titulai-re d’un Commercial Real Estate Executive Education Program du MIT (Boston), entrepreneur dans le domaine de l’immobilier et du financement de l’immobilier en Europe et aux États-Unis, il a commencé sa carrière aux États-Unis dans des fonds d’investissements avant d’y lancer sa première société de conseil en 2011. Il a aussi été actif dans le domaine des infrastructures françaises avec le fonds Conquest. Économiste et analyste financier de forma-tion, il est en outre actif dans le débat public depuis plusieurs années et a écrit deux livres : Capital et Prospérité. Le retour de la croissance pour tous, (éd. Alternative démocratique, 2016) et Stratégies d’investissement (Ellipses, 2013). Depuis 2016, il suit les questions monétaires et de politiques économiques au sein l’Institut Thomas More 


Jean-Sylvestre Mongrenier est directeur de recherche à l’Institut Thomas More. Titulaire d’une licence d’histoire-géographie, d’une maîtrise de sciences politiques et d’un Master en géographie-géopolitique, docteur en géopolitique, il est professeur agrégé d’Histoire-Géographie et chercheur à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis). Officier de réserve de la Marine nationale, il est rattaché au Centre d’Etudes Stratégiques de la Marine (CESM), à l’École Militaire. Il est l’auteur notamment de Géopolitique de l’Europe (PUF, 2020), Géopolitique de la Russie (avec Françoise Thom, PUF, 2016, 3e édition, 2022) et Le monde vu de Moscou. Géopolitique de la Russie et de l’Eurasie postsoviétique (PUF, 2020). Au sein de l’Institut Thomas More, il travaille sur les enjeux géopolitiques et de défense en Europe et suit en particulier, depuis plusieurs années, les stratégies russe et turque, avec leurs effets sur les positions occidentales