Bienvenue dans l’ère queer · Moins de la moitié des étudiants de Cambridge se déclarent désormais hétérosexuels

Christian Flavigny, pédopsychiatre et psychanalyste, chercheur associé à l’Institut Thomas More

11 décembre 2022 • Entretien •


Moins de la moitié des étudiants de Cambridge se déclarent désormais hétérosexuels, selon une étude, comment l’expliquer ?

Voyons d’abord ce que reflète cette enquête : une forme de désignation ; il y aurait « des hétérosexuels », « des homosexuels », comme on répertorierait des droitiers, des gauchers et des ambidextres, en une sorte de taxonomie de la vie sexuelle. Cela entérine un discours militant qui cantonne l’option de vie sexuelle à une sorte de fonctionnalité : « je suis comme cela », comme d’une disposition « de nature » qui se serait de toujours imposée à la personne concernée. Les militants des « minorités sexuelles » prétendent être « nés comme ça » afin de se déclarer victimes de discrimination depuis une catégorie qui serait dominante parce que numériquement majoritaire, « les hétérosexuels ».

Or l’option sexuelle est une inclination et non une « orientation » (terme dont usent les militants) ; ce qui fait ou non partager sa vie affective et sexuelle entre homme et femme, c’est la façon diverse de vivre l’altérité sexuelle et la rencontre intime de l’inconnu de l’autre sexe, bref l’incomplétude qui est l’enjeu humain de la sexualité.

Les sociétés anglo-saxonnes, anglaise et américaine, ont brimé, voire persécuté, les minorités sexuelles, établissant une catégorisation qui résulte de leur approche normative et puritaine. Ce n’est pas le cas de la société française dont la conception universaliste a toujours accepté que chacun vive sa vie affective et sexuelle à son gré, sans jamais en faire un critère d’acceptation sociale, donc sans jamais discriminer selon de tels critères.

L’enquête devrait donc étudier la faveur des enquêtés pour vivre leur vie affective et sexuelle : entre homme et femme, ou bien entre hommes ou bien entre femmes, ou bien les deux, ou bien aucune. Mais il serait justifié de questionner la visée d’une telle enquête et ses attendus implicites.

La même étude réalisée par Varsity, une publication de la célèbre ville universitaire britannique, montre qu’ils étaient encore 80% il y a six ans. Comment l’expliquer ?

La réponse convenue expliquera que c’est la preuve d’une acceptation de l’homosexualité qui aurait été déniée antérieurement, et qui serait l’effet du combat militant ; c’est une réponse superficielle, cantonnée à l’approche sociale. La compréhension psychologique a étudié de longue date la prégnance homosexuelle et en a donné une explication claire ; on sait en particulier comment au moment de l’adolescence et du jeune âge adulte, il y a une certaine labilité dans le choix de partenaires de vie sexuelle et amoureuse, dans une démarche d’exploration qui est celle de la découverte dialectique de l’autre en même temps que de soi-même.

Que l’effet déclaratif (« je suis… ») accueille désormais plus aisément la sexualité de même sexe n’est pas la marque d’une plus grande tolérance, on pourrait même dire au contraire : c’est la preuve d’une lutte contre une intolérance. Or celle-ci est le propre des sociétés anglosaxonnes ; faut-il rappeler qu’à l’heure où Oscar Wilde est emprisonné, des figures marquantes de la vie culturelle française sont connues pour privilégier la vie sexuelle de même sexe ; et qu’alors qu’Alan Turing est condamné au traitement hormonal, avec l’issue tragique que l’on sait, Charles Trenet est libéré de quelques jours d’emprisonnement sous les acclamations de la foule ? La tolérance qui est intrinsèque à la culture française est liée au fait qu’elle comprend la vie affective et sexuelle comme partage et découverte de l’altérité, et non comme un code de vie sociale régi par des normes de bienséance.

L’évolution de ces chiffres ne traduit-elle pas, malgré tout, une évolution de la société qui devient de plus en plus ouverte et tolérante sur ces questions ? Poussant plus d’individus à s’assumer ?

L’exemple du « phénomène transgenre » est illustratif : est-il lié au fait que de plus en plus de jeunes oseraient déclarer ce qu’ils n’osaient pas avouer antérieurement, qu’ils se sentent appartenir à l’autre sexe que celui dévolu par leur anatomie ? En rien. Il est lié au fait que les jeunes se saisissent des moyens que leur donne le discours adulte pour clamer leur malaise. Or ce malaise de bien des jeunes pour s’approprier leur corps sexué et le vivre au profit de leur vie affective, bref pour en faire la base de la définition d’eux-mêmes, est connu de longue date ; mais aujourd’hui la fortune faite à la thèse des militants américains, voulant que « la Nature se serait trompée, mettant une âme de fille dans un corps de garçon ou vice-versa », fait aux jeunes déclarer « se sentir dans le mauvais corps ». Il faut entendre leur mal-être, mais ne pas rentrer dans cet effet déclaratif qui n’a pour effet voire pour fonction que de détourner de la vraie prise en compte du désarroi de fond qu’ils ressentent.

A quel point, dans cette enquête, le fait que ce soient des étudiants de Cambridge peut-il avoir un effet sur les données ?

L’effet est lié au fait que ce sont des jeunes gens, entre adolescence et âge adulte ; un âge où la rencontre avec l’autre sexe est encore en prospection. La rencontre avec l’autre sexe n’est simple pour personne : elle renvoie chacun à sa propre incomplétude, qui est au fondement de la relation humaine, qu’elle soit ou non vécue dans l’intimité sexuelle, ce qui est l’affaire de chacun. L’âge adulte est celui où s’engage la confrontation avec les deux données de l’humain : l’incomplétude et la finitude ; c’est du coup l’âge de possiblement se rendre parents l’un par l’autre, ce qui est l’enjeu crucial de la relation entre les sexes, donnée qui a été occultée par l’ouverture de l’Aide médicale à la Procréation (PMA) aux unions de même sexe mais n’en demeure pas moins fondatrice.

On sait que les chiffres des populations homosexuelles sont plutôt stables dans les données statistiques. Peut-on imaginer au regard de cette enquête qu’ils soient sous-estimés ?

Que veut dire « les populations homosexuelles » ? Cette formulation est au principe même d’un communautarisme contre lequel il faut s’insurger en se basant sur la manière française. Peut-on prendre la mesure du paradoxe américain qui réclame le « droit au respect de la vie privée » sans cesse invoqué dans les jugements, tout en ayant imposé la « visibilisation” de cette vie » privée depuis le honteux coming out exigé dans la vie sociale, comme une sorte de « j’assume » ma différence ? Cette différence, la culture française n’en a jamais fait un problème, du fait de sa compréhension de la vie sexuelle comme d’un partage et d’un vécu de la relation à l’autre, sans hiérarchisation de la manière, mais cantonnés à l’intimité.