La guerre d’Ukraine un an après · L’Occident a besoin d’une grande stratégie

Jean-Sylvestre Mongrenier, directeur de recherche à l’Institut Thomas More

Février 2023 • Note d’actualité 85 •


A l’évidence, la guerre d’Ukraine n’est pas un « conflit de faible intensité » mené sur de lointains confins. Vladimir Poutine a déclenché une grande guerre qui s’inscrit dans une offensive générale contre l’Occident, conçue et préparée de longue date. Si l’on veut se convaincre de la détermination des dirigeants russes, que l’on se reporte au discours du maître du Kremlin, prononcé le 21 février. Vladimir Poutine dispose de l’appui chinois (Xi Jinping croit que son heure a sonné) et de plusieurs « États perturbateurs », l’Iran chiite n’étant pas le moindre. C’est dire qu’il importe de se préparer à une guerre longue, de désigner avec clarté l’« ennemi », condition sine qua non pour penser et concevoir une stratégie digne de ce nom. Plus encore, l’Occident doit assumer une forme de patriotisme de civilisation.

Après une longue période de paix, à peine interrompue dans les esprits par les déchirements de l’ex-Yougoslavie au cours des années 1990, l’Europe connaît une nouvelle guerre. Non pas sur ses confins balkaniques et caucasiens, dans le seul champ des représentations ou dans celui de la géoéconomie, mais en Ukraine, un État à cheval sur le Centre et l’Est européens, le plus grand pays du continent. Cette guerre a une profonde signification géopolitique : dans les temps longs de la géohistoire, la frontière orientale de l’Europe se trouvait sur le Don (l’ancien Tanaïs), en ce Donbass une nouvelle fois à feu et à sang. En somme, la « Russie-Eurasie » de Vladimir Poutine est partie à l’assaut de la Mitteleuropa, non pas sur un coup de sang mais après des années de préparation politique, diplomatique et militaire. La manœuvre d’ensemble comprend la subversion d’une partie des classes dirigeantes, lato sensus, du monde occidental (guidée par le goût du lucre) et la manipulation d’« idiots utiles » subjugués par la « Sainte-Russie », les mœurs tchékistes, les charmes et séductions du « zéro et l’infini ».

C’est d’une grande guerre qu’il s’agit donc, avec des effets et contrecoups partout dans le monde, non pas d’un « conflit gelé » virtuel. Il ne sera pas possible de s’y soustraire. Aussi faut-il que les puissances occidentales acceptent ce fait guerrier et qu’elles l’assument, fût-ce de manière indirecte. Sans pouvoir exclure que la guerre, au regard des ambitions de la Russie-Eurasie et des soutiens extérieurs dont elle bénéficie (la Chine populaire n’est pas le moindre), prenne de nouvelles dimensions.

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L’auteur

Jean-Sylvestre Mongrenier est directeur de recherche à l’Institut Thomas More. Titulaire d’une licence d’histoire-géographie, d’une maîtrise de sciences politiques, d’un Master en géographie-géopolitique et docteur en géopolitique, il est professeur agrégé d’Histoire-Géographie et chercheur à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis). Il est conférencier à l’IHEDN (Institut des Hautes Études de la Défense Nationale, Paris), dont il est ancien auditeur et où il a reçu le Prix Scientifique 2007 pour sa thèse. Officier de réserve de la Marine nationale, il est rattaché au Centre d’Enseignement Supérieur de la Marine (CESM), à l’École Militaire. Il est notamment l’auteur de Géopolitique de l’Europe (PUF, 2e édition, 2023), Géopolitique de la Russie (avec Françoise Thom, PUF, 3e édition, 2022) et de Le Monde vu de Moscou. Géopolitique de la Russie et de l’Eurasie postsoviétique (PUF, 2020)