Juin 2023 • Note 62 •
Une visite trois fois repoussée
En ce début d’été 2023, devait avoir lieu une visite en France du président algérien Abdelmajdid Tebboune. Déjà repoussé deux fois, rendu risqué après un déplacement chahuté au Portugal (22-23 mai) et délicat par sa visite à Moscou (14-16 juin), ce déplacement aura-t-il finalement lieu ? Difficile à imaginer dans le contexte actuel. La dernière visite officielle en France d’un chef d’État algérien remonte à l’an 2000, avec la venue (particulièrement importante à l’époque) d’Abdelaziz Bouteflika. En 2010, il avait été question d’un nouveau voyage à Paris du président algérien, mais les relations entre les deux pays, déjà tendues, avaient finalement empêché sa tenue.
Des critiques et des attaques régulières contre la France
Une telle visite officielle est-elle nécessaire, est-elle utile, alors qu’Emmanuel Macron a effectué il y a moins d’un an un séjour de trois jours dans le pays et que la première ministre Elisabeth Borne s’est également rendue à Alger à la mi-octobre 2022, accompagnée de quinze membres de son gouvernement ? Pourquoi recevoir le président Tebboune, alors qu’il y a quelques semaines encore, la presse et les officiels algériens attaquaient violemment la France et son président en n’hésitant pas à qualifier de « barbouzerie » la protection consulaire accordée à Amira Bouraoui, militante franco-algérienne des droits de l’homme, et de « barbouzes » les responsables officiels français ? Pourquoi enfin recevoir à Paris le chef d’État algérien qui se félicite lors de son récent séjour à Moscou de ses relations amicales avec Vladimir Poutine et qui rétablit la veille le fameux troisième couplet anti-français dans l’hymne national ?
Pourquoi une telle insistance de la part du président de la République ?
Il y a là à la fois une énigme à élucider et un problème à résoudre. Quel bénéfice la France compte-t-elle retirer de ce projet ? Quels avantages en aura-t-elle ? Quelle intention y a-t-il derrière cette visite officielle ? Comment analyser l’insistance que met désormais le président de la République à soigner et à valoriser la relation de la France avec l’Algérie alors que, nous allons le voir, sa politique algérienne a été pour le moins sinueuse depuis son arrivée à l’Elysée en 2017 ?
Un pari algérien qui se fonde sur des illusions, des erreurs d’analyse et des risques
Nous posons l’hypothèse qu’Emmanuel Macron lance un pari dont nous allons tenter d’analyser les tenants et les aboutissants. Nous parlons de pari car la mise est maximale, les chances de gains minimes et l’autre parieur guère prêt à nous céder la victoire. Qu’il s’agisse de la question migratoire, si prégnante pour notre pays, de la dégradation de la relation de la France avec le Maroc ou de la légitimation du « système politico-militaire très dur » qui dirige l’Algérie (selon les mots mêmes d’Emmanuel Macron), ce pari se fonde sur des illusions, des erreurs d’analyse et des risques politiques et géopolitiques non négligeables. Les relations entre la France et l’Algérie étant depuis si longtemps délicates et passionnelles, le pari algérien du président Macron devrait comporter davantage de lucidité, de clairvoyance et de prudence, tant ses interlocuteurs savent eux-mêmes faire preuve de ces qualités… auxquelles ils ajoutent, quand il le faut, une dose de cynisme.
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L’auteur
Xavier Driencourt est diplomate, ancien ambassadeur de France en Malaisie (1998-2002) et en Algérie (2008-2012 et 2017-2020), ancien directeur général de l’administration du ministère des Affaires étrangères, ancien chef de l’Inspection générale des Affaires étrangères. Il est l’auteur de Quatre nuances de France (éditions Salvator, 2016), Evian face à l’étranger. Les réactions internationales à l’indépendance algérienne vues par les représentations diplomatiques françaises (avec Jean Mendelson, Comité des travaux historiques et scientifiques, 2022) et L’énigme algérienne, Chroniques d’une ambassade à Alger (éditions de l’Observatoire, 2022) • |