28 août 2023 • Opinion •
Lors d’une rencontre avec son homologue autrichien Karl Nehammer le 18 août dernier à Salzbourg, le chancelier allemand Olaf Scholz déclarait que les contrôles aux frontières intérieures de l’Union européenne étaient « indispensables » tant qu’il n’existait pas de réponse européenne globale au défi de l’immigration irrégulière sur le continent.
Alors que la pression migratoire ne faiblit pas sur nos vieilles nations désemparées, que près d’un million de demandes d’asile ont été enregistrées en 2022 dans toutes l’UE (+52% par rapport à 2021) et que l’Allemagne absorbe un quart de ces demandes à elle seule, certains ont voulu croire au réveil de Berlin. L’Allemagne, si généreuse en 2015-2016 et depuis, prend-elle enfin la mesure réelle et multifactorielle du phénomène migratoire ? Comprend-elle que l’immigration n’est pas une simple variable de la politique économique mais une question existentielle en ce qu’elle touche à l’identité et à l’avenir des peuples ?
Le croire serait se tromper. Se tromper autant que de prendre pour argent comptant les mots d’Emmanuel Macron lorsqu’il affirme dans Le Point de cette semaine, hasard du calendrier, qu’il entend « réduire significativement l’immigration ». Car Olaf Scholz et Emmanuel Macron disent mais ne font pas. Tous deux mis sous pression par une droite de la droite qui croît sérieusement dans les sondages (l’AfD en Allemagne, le RN en France), ils envoient des « signaux » à l’électorat mais n’agissent pas. Les croire serait se tromper, et se tromper deux fois.
Une première fois parce que les chiffres et les faits contredisent leur ambition proclamée de maîtrise de l’immigration, tant légale que clandestine. Rien, depuis qu’ils sont aux commandes de leur pays (vingt mois pour Olaf Scholz et six ans pour Emmanuel Macron) n’indique cette voie. En 2022, l’Allemagne a accueilli 1,462 millions immigrés légaux sur son territoire. Le pays n’avait jamais enregistré une immigration nette aussi élevée. Quant à la France, elle dépasse les 475 000 entrées (en additionnant les 320 000 titres de séjour octroyés et les 156 000 demandes d’asile). Un record là aussi.
Et cela ne risque pas de changer puisque l’Allemagne s’est dotée le 23 juin dernier d’une nouvelle loi sur l’immigration qualifiée qui fixe à 400 000 immigrés par an le minimum d’entrées sur son territoire. Obsédée par la baisse de la compétitivité de son économie, Berlin ne voit dans l’immigration qu’un moyen d’importer de la main d’œuvre. Ses œillères économicistes masquent les réalités sociales et culturelles du phénomène migratoire. Et il en va de même, quoique plus modestement, en France avec le projet de loi immigration de Gérald Darmanin annoncé pour cet automne qui prévoit la création d’un titre de séjour « métiers en tension ».
Mais ce serait se tromper une seconde fois car Olaf Scholz comme Emmanuel Macron promettent une « solution européenne » qui n’est qu’une fiction. Incapables d’agir nationalement et de répondre aux attentes majoritaires des peuples auxquels ils doivent leur élection, ils projettent l’un et l’autre sur l’Union européenne et la réforme en cours des règles de l’UE en matière d’asile une capacité de réponse au défi migratoire qu’elle n’a tout simplement pas. Pour preuve : le seul point acquis pour l’instant est la création d’un nouveau « mécanisme de solidarité » qui vise à la répartition obligatoire des demandeurs d’asile entre tous les États membres. L’UE se charge de répartir le fardeau.
Et cela s’explique. D’abord parce que la vision des dirigeants des institutions européennes est assez largement « sans-frontiériste » et alignée sur celle des ONG no borders : l’« affaire Frontex » l’a prouvé en 2021-2022. Ensuite, et c’est là l’essentiel, parce que l’UE est incapable de répondre aux défis de la grande politique – « le » politique, au sens du philosophe Julien Freund, par opposition à « la » politique. Elle n’a pas été conçue pour cela, n’est pas un acteur politique de plein exercice et sa légitimité est inconsistante.
Or l’immigration est l’une des questions politiques les plus graves et les plus urgentes de notre époque. On l’a dit, elle est existentielle pour nos sociétés européennes en déclin, qui doutent de leur modèle et qui ont déjà accueilli une immigration massive depuis cinq décennies. C’est cette sombre réalité que les déclarations d’Olaf Scholz et d’Emmanuel Macron cherchent à masquer plutôt qu’à affronter.