1er septembre 2023 • Opinion •
Avec le délitement de l’enseignement supérieur de l’architecture, les universités d’été se multiplient comme solutions alternatives à un secteur en crise. Nadia Everard explique pourquoi.
Le diplôme universitaire suit la dure loi de l’offre et de la demande : au plus il y en a, au plus il se déprécie. Les études d’architecture ne sont pas étrangères à cette règle. À Bruxelles, le taux de sortie vers l’emploi des jeunes diplômés d’un Master d’architecture est de 67,4 %, parmi les plus mauvais résultats du classement Actiris. Cela signifie qu’après avoir obtenu un diplôme d’architecture, près d’un jeune sur trois s’inscrit au chômage. Le rapport d’Actiris renchérit : « les domaines d’études de niveau Master comptant le plus grand nombre de jeunes bruxellois sortant de l’école et venant s’inscrire chez Actiris sont l’architecture, l’urbanisme et la construction », devant l’histoire, les lettres et les arts visuels.
Cette crise de l’enseignement de l’architecture s’explique doublement. Il y a d’abord un problème quantitatif, qui se pose à l’université en général pour ce qu’elle accueille désormais près de 30 % de la population belge de 20 ans et plus. Cette proportion dépasse largement les besoins réels de l’économie et repose sur la croyance, dans certaines catégories sociales, que l’université est un rituel obligatoire pour accéder à la vie active et au prestige socio-économique. Cette croyance a conduit à la malheureuse désertion des métiers manuels par les classes moyennes, alors qu’ils sont souvent plus rémunérateurs et dans de nombreux cas plus épanouissants que les professions intellectuelles.
Mais cette crise de l’architecture repose également sur un déficit qualitatif de l’enseignement. Le diplôme d’architecture (toutes facultés confondues) s’est déprécié parce que l’enseignement de l’architecture actuel a abandonné la rigueur de la pédagogie classique et l’apprentissage du langage architectural traditionnel au profit du modernisme déconstructiviste. Ce dernier conduit les étudiants à se défier de la coutume et du passé, ce qui pousse l’architecture à un très haut degré d’abstraction, une simplification des formes et un divorce d’avec les métiers manuels de l’artisanat et le savoir-faire local. Ignorant le langage multiséculaire de l’architecture traditionnelle, les architectes sont inévitablement conduits à pratiquer une architecture abrégée, appauvrie et parfaitement conforme.
Bientôt, l’architecte lui-même ne sera plus requis pour reproduire à l’infini ces « unités d’habitation grandeur conforme », pour citer le père du modernisme français Le Corbusier, car la machine pourra s’acquitter de cette tâche répétitive. De fait, dans une note de recherche publiée en mars 2023, l’institution financière Goldman Sachs signale que la profession d’architecte est parmi les plus exposées au risque de remplacement par l’intelligence artificielle, juste après les postes de bureau et les emplois administratifs.
A l’épreuve de la robotisation
L’université ne peut s’en prendre qu’à elle-même. Par son renoncement à un enseignement de qualité, elle a condamné des générations d’architectes, d’ores et déjà difficilement employables, à être remplacés par la robotisation. Pour faire face à cette crise, le monde de l’architecture se réorganise. Depuis près de dix ans, bourgeonnent partout en Europe des initiatives privées d’universités d’été d’architecture : à Bruges, Utrecht, Cambridge, en Espagne, au Portugal, en Australie et au Maroc, de petits groupes de quinze à trente étudiants sélectionnés sur dossier, issus de tous les pays et de tous les horizons, s’initient à une architecture ancrée dans l’histoire et la philosophie, fondée sur l’usage de matériaux naturels à l’aide de mises en œuvre artisanales. Ils ont la même ambition que les premières universités fondées en Occident médiéval : conserver les acquis des civilisations déchues et contribuer au progrès physique, intellectuel et moral de la société.
Face à la déchéance des études universitaires d’architecture, ces formations d’été font le pari de la qualité : dessin à main levée, relevés, géométrie traditionnelle, ateliers de construction, visites d’étude et intenses séances de débat rythment leur cursus. Si ces formations ne sont pas toujours qualifiantes, elles ont l’avantage de préparer les jeunes gens aux aspects pratiques du métier et de leur donner des compétences qui ne pourront jamais être remplacées par un logiciel. C’est la clef pour qu’ils intègrent le marché de l’emploi et c’est un modèle dont l’université devrait s’inspirer si elle entend rester féconde.