14 septembre 2023 • Analyse •
Les annonces de Gabriel Attal sur le « choc des savoirs » resteront lettre morte si elles restent séquencées, fragmentées, sans réelle dynamique ni vision d’ensemble, plaide Marie Cognet, consultante en questions éducatives et pédagogiques et auteur du rapport Transmission des savoirs et culture partagée : pour une refonte des programmes de l’école primaire de l’institut Thomas More (mars 2022).
Gabriel Attal a plutôt réussi sa rentrée scolaire. Pendant une quinzaine de jours, il a occupé le devant de la scène avec la question, délicate, de l’abaya et celle, essentielle, de propositions devant donner corps à un « choc des savoirs ». La première a été plutôt bien pilotée (même si le problème de l’entrisme islamiste à l’école n’est pas réglé). La seconde est devant nous.
Après les errements de ces dernières années, nous pouvons commencer par nous réjouir des annonces du ministre de l’Éducation nationale en matière d’exigence et de réformes éducatives. Elles vont dans le bon sens au regard de la baisse générale du niveau observée études après études du primaire au lycée (ainsi qu’à l’université) et sanctionnée par les classements internationaux dans lesquels la France recule année après année.
Néanmoins, premier bémol, comment s’assurer qu’elles ne resteront pas lettres mortes ? Car c’est peu dire que nous sommes accoutumés aux annonces sans suites en matière de politique scolaire. Souvenons-nous du programme « devoirs faits », mis en place en 2017, qui n’a fonctionné qu’à la marge et au bon vouloir des établissements. Souvenons-nous des « stages de réussite » proposés pendant l’été aux élèves au niveau insuffisant, créés en 2008, réactivés en 2017, de nouveau relancés l’été dernier, en réalité jamais généralisés, jamais sérieusement établis. Quant au « retour aux fondamentaux », il a été annoncé à maintes reprises, en 2009 par Xavier Darcos, en 2016 par Najat Vallaud-Belakacem, en 2018 par Jean-Marie Blanquer… avec le succès que l’on sait.
Les annonces de Gabriel Attal subiront le même sort si elles restent séquencées, fragmentées, sans réelle dynamique ni vision d’ensemble. Le système scolaire est tellement enkysté que, pour avoir quelques chances de réussite, toute réforme doit être structurelle et complète et mettre en mouvement et en relation l’ensemble des aspects de la mission éducative : formation (initiale et continue) et évaluation des enseignants, enseignement progressif et itératif de la maternelle au collège, pédagogies différenciés et cadre structurant et structuré, collaboration pédagogique systématique permettant réflexion commune et innovation. C’est un immense chantier que nous devons à nos enfants.
Alors, quand le ministre de l’Éducation nationale annonce un « choc des savoirs » visant à relever le niveau, on ne peut s’empêcher de le prendre au mot. Mais est-il prêt à aller au bout de la logique ? Car relever le niveau en mathématiques ou en lecture induit une réflexion sur les méthodes et les programmes mais ainsi qu’une vraie réforme de la formation des enseignants. L’exemple britannique doit nous inspirer. En 2016, après des résultats catastrophiques en mathématiques dans les tests PISA, le Royaume Uni a tout changé : programme d’échange avec des professeurs formés à la méthode de Singapour, formation et tutorat d’enseignants chargés de former leurs collègues, traduction de nouveaux manuels, budget colossal dédié, etc.
La clef est là : dans l’articulation de la réforme des méthodes et des programmes à celle de la formation des enseignants. On ne prétendre donner la priorité à la lecture et à l’écriture en CP ou en CM2 sans revoir méthodes et progressions en même temps qu’en proposant formation et collaboration aux enseignants. La formation est un prérequis essentiel à toute réforme, chaque nouvelle annonce pédagogique (lecture, écriture, calcul, etc.) devant être corrélée à une formation dédiée.
Deuxième prérequis : le rétablissement d’apprentissages exigeants sur la longue durée. L’objectif formulé par Gabriel Attal d’une production d’écrit hebdomadaire aux élèves de CM2 est une bonne idée mais n’est tout simplement pas réaliste si les notions et les compétences nécessaires à l’accomplissement de cet exercice ne sont pas enseignées et optimisées en amont. Comment demander à un élève de dix ans d’écrire une rédaction si les exigences en termes de lecture (en classe et à la maison), d’orthographe, de grammaire, de vocabulaire ou de compréhension de l’écrit n’ont pas été rehaussées dès le CP, voire dès la fin de la maternelle ? C’est demander à un élève de réaliser un travail impossible, sans fond…
Les apprentissages sont tous liés les uns aux autres. Arrêtons de les séquencer, faisons en sorte qu’ils soient progressifs et cohérents. Un apprentissage ne doit jamais être considéré comme un aboutissement mais comme le commencement d’un autre. Permettons aux élèves de répéter les notions abordées tout au long du primaire afin d’entrer mieux armés au collège.
Enfin, troisième prérequis : la pédagogie différenciée, l’expérimentation, la liberté d’initiative (corrélée à l’évaluation évoquée plus haut). L’autonomie et la liberté pédagogique des enseignants sont indispensables afin qu’ils puissent adapter leurs méthodes et leurs cours aux élèves qu’ils ont dans leurs classes. Cela ne correspond pas à un abaissement des critères d’exigences mais permet au contraire aux équipes de choisir les meilleurs moyens de faire progresser l’ensemble de leurs élèves vers l’excellence et les objectifs fixés : lecture, écriture, production d’écrits, mathématiques.
Le cadre du système doit être à la fois exigeant et souple pour favoriser liberté scolaire, coopération et collaboration, enseignement différencié et suivi individualisé : exigeant sur l’objectif, souple sur les moyens. On ne peut plus enseigner le français de la même manière à Franklin et à Vaulx-en-Velin ! Accroître l’autonomie, c’est parier sur la confiance et la mobilisation des acteurs locaux qui constituent la communauté éducative autour de l’enfant et de sa réussite. Cela passe par une attention plus grande et l’adaptation des structures aux besoins des élèves. L’exigence n’empêche pas l’école de s’adapter à chacun en tenant compte de sa singularité plutôt que d’imposer à tous les élèves un même système.
Alors, comme l’appellent de leurs vœux chacun dans leur domaine, de plus en plus d’enseignants, de parents, de vastes collectifs d’écrivains, d’intellectuels, d’artistes ou d’éditeurs, osons aller plus loin et étendre les annonces de Gabriel Attal à une réforme d’envergure pour nos enfants. Le chemin est tracé. Tout est affaire de courage et de volonté politique désormais…