28 septembre 2023 • Opinion •
Le plan d’embellissement des zones commerciales lancé par le gouvernement est insuffisant, estime le chercheur associé à l’Institut Thomas More et cofondateur de La Table Ronde de l’Architecture Noé Morin. Il est, selon lui, impératif de les transformer en d’authentiques quartiers vivants, pas seulement à vocation commerciale.
Le gouvernement a annoncé le 11 septembre dernier qu’il allait lancer un plan d’embellissement des « zonings » commerciaux. Si l’on peut saluer l’ambition gouvernementale de s’attaquer à l’épineuse question des zones commerciales dont souffrent les villes françaises depuis l’après-guerre, il faut s’en donner les moyens et la méthode. L’objectif poursuivi doit être l’intégration des zonings dans le tissu urbain existant et la transformation de ces lieux hors-sol en véritables lieux de vie aux abords des villes.
La prolifération des grandes surfaces a profondément et tragiquement transformé la physionomie et l’économie des villes françaises. Les zones commerciales construites dès la fin des années 1950 sont le reflet d’une époque où la modernité triomphante sacrifiait volontiers les petits commerces sur l’autel de la grande distribution, où l’avenir était aux banlieues et où le citoyen-consommateur était invité à circuler en voiture entre le bureau, l’appartement et l’hypermarché. Dans la frénésie aveugle qui caractérisait cette époque, la zone commerciale devenait le nouveau cœur de l’économie urbaine, ceinturant les centres-villes à la manière d’une couronne asphyxiante, drainant peu à peu la vitalité économique du centre vers les périphéries.
Pour ne rien arranger, ces périphéries furent construites selon les préceptes révolutionnaires de l’urbanisme moderniste : division fonctionnelle de la ville (logements, bureaux et commerces devant être séparés) et concentration des activités via le zonage. C’est ainsi que, sur le modèle des villes américaines, l’on construisit rapidement d’immenses zones commerciales en grignotant sur les terres agricoles, détruisant par la même occasion « cet arrière-plan rural nécessaire à la joie de vivre dans les villes », comme l’écrit l’historien Lewis Mumford. Ces mornes aires commerciales, généralement séparées du reste de la ville par un épais réseau routier, devinrent des chancres de laideur, icones d’une postmodernité désolante.
Devant la fronde des petits commerçants, les autorités de l’époque cherchèrent à enrayer l’inexorable avancée des « zonings ». Mais les instruments réglementaires dont se dota la France dès les années 1970 finirent par se retourner contre elle : malgré les lois Royer (1973) et Sapin (1993) visant à encadrer la liberté d’établissement commercial, la France comptait dans les années 1990 le taux le plus important de surfaces commerciales par habitant de la communauté européenne, avec 1,5 hypermarché pour 100 000 habitants dans les années 1990. Mais à l’heure où la fréquentation des supermarchés est en baisse, il est temps de revoir le modèle de développement territorial de la grande distribution.
Il n’est pas question ici de pleurer sur le lait renversé, comme le disent nos amis anglais. Après tout, comme le rappelait Olivia Grégoire, ministre chargé des PME, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, les zones commerciales sont encore « le lieu où la plupart des gens vont faire leurs courses », qu’on le veuille ou non. Partant de la situation présente, il faut donc envisager des pistes pour transformer ces morceaux de territoire en authentiques quartiers de commerce reliés au reste de la ville par l’usage et l’aspect.
La mue des zones commerciales avancée par le gouvernement est heureuse mais elle requiert une méthodologie stricte. Inutile en effet de se contenter de rafraichir quelques façades ou de végétaliser une poignée de toitures.
En premier lieu, il est nécessaire de fondre l’architecture et l’urbanisme des « zonings » dans le tissu urbain existant. Pour cela, il faut établir des guides municipaux d’architecture et de construction simples et efficaces (en complément du Plan Local d’Urbanisme) de sorte à ce que toute transformation rapproche les périphéries commerciales hors sol de l’identité visuelle du centre-ville. Conformément à la méthode employée au Plessis-Robinson (France), à Poundbury (Royaume-Uni) ou à Heulebrug (Belgique), les principes repris dans les guides garantiront que les architectes construiront en harmonie avec le bâti ancien et respecteront l’identité locale, promesse d’un large plébiscite populaire.
Mais cette étape est vaine si l’on n’a pas préalablement exécuté un plan directeur afin de densifier les zones commerciales qui se caractérisent généralement par la démesure et l’absence (absence de rues proprement dites, de rangées de façades mitoyennes, de coins, de trottoirs et de lieux de rencontre, en un mot « mort de la rue », sentence prononcée par Le Corbusier dès les années 1920), et d’obtenir la juste diversité des fonctions au sein de ces périphéries. Rien ne saurait être plus dommageable que de reproduire l’erreur des urbanistes des années 1960 en leur réassignant une vocation purement commerciale, ce qui ne résoudrait aucunement la disparition des petits commerces en centre-ville. Au contraire, il faut en faire d’authentiques quartiers vivants et habités : de véritables lieux de vie aux abords des villes, idéalement séparées de leurs voisines par une ceinture verte. Ce faisant, l’on pourra contribuer à remédier à la crise du logement qui frappe les grandes villes en libérant une capacité d’accueil.
Enfin, il faut saisir cette occasion pour rehausser la qualité de l’architecture. Construire bien – à l’aide d’une architecture de bon sens, de techniques éprouvées et de matériaux bio-sourcés – c’est construire pour longtemps. Les solutions sont innombrables et évidentes. Elles sont connues de l’homme depuis des générations. Elles ont façonné les plus belles villes de France.
Il n’est pas trop tard pour réparer les erreurs commises par le développement urbain anarchique des années 1960. Nous attendons que le gouvernement s’attèle sérieusement à cette tâche et engage des moyens à la hauteur de son ambition.