Plan anti-émeutes · L’exécutif s’attaque aux conséquences de la violence chez les jeunes, pas aux causes

Elizabeth Montfort, directrice de recherche à l’Institut Thomas More

2 novembre 2023 • Opinion •


Elizabeth Montfort juge insuffisantes les mesures d’Élisabeth Borne, en réponse aux émeutes urbaines qui ont secoué la France l’été dernier. Elle dénonce la conception « strictement utilitariste » qu’a Emmanuel Macron de la famille.


Après les émeutes qui ont ébranlé la France pendant plusieurs nuits au début de l’été, Elisabeth Borne présentait le jeudi 26 octobre devant 500 maires réunis à Matignon les réponses du gouvernement pour que « tout cela ne recommence pas ». Parmi les nombreuses mesures annoncées, un certain nombre concerne spécifiquement les familles : stages de responsabilité parentale, peines de travaux d’intérêt général pour les parents défaillants, unités éducatives pour les enfants délinquants, etc. « Il faut responsabiliser les parents », affirme la Première ministre.

Si c’est à elle qu’est revenue la charge de présenter le plan du gouvernement, c’est bien le Président qui en est l’inspirateur. Or, la question familiale est de nouveau posée à Emmanuel Macron, chez qui elle constitue historiquement un déni et un impensé. Au plus fort des émeutes, il avait ainsi publiquement demandé que les parents surveillent davantage leurs enfants, déclaré devant ses ministres qu’il fallait aider les familles et annoncé devant les Français vouloir « ouvrir le chantier de l’autorité parentale à la rentrée » tout en appelant à « responsabiliser les familles et réinvestir sur notre jeunesse pour lui redonner un cadre ».

Nous pouvons certes saluer ces propos qui reconnaissent implicitement les parents comme premiers éducateurs de leurs enfants et qui s’inscrivent dans l’esprit de l’article 371-1 du Code civil lu lors des célébrations de mariage en mairie : « L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne […] ».

Cependant, le compte n’y est pas. Le président a eu besoin des émeutes pour se souvenir du rôle irremplaçable de la famille aussi bien dans la construction personnelle de chaque enfant que dans la vie sociale. Si bien que les mesures présentées par Elisabeth Borne traitent les conséquences, mais non les causes, de la violence des jeunes. Tout dans cette séquence, qui agit comme un rappel à l’ordre, révèle la conception strictement utilitariste qu’a Emmanuel Macron de la famille. Cela nous renvoie au premier confinement de 2020 quand il avait fait appel aux parents pour suppléer les enseignants, les nounous, les animateurs, etc.

Bien sûr, l’oubli de la famille vient de loin. Les gouvernements de ces quarante dernières années portent tous une part de responsabilité dans la fragilisation puis la « déconstruction » de la famille. Mais depuis six ans le président n’a rien entrepris pour enrayer ce mouvement, au contraire même. Il ne suffit pas de sauter comme un cabri en criant « l’ordre, l’ordre, l’ordre » pour faire renaître une autorité depuis si longtemps érodée, critiquée, entravée, suspectée. Il faudrait au président un changement radical du regard qu’il porte sur la famille et sur les parents, et entraîner ses ministres sur cette voie.

On en est loin. Alors qu’il était secrétaire général de l’Elysée, le ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon déclarait que « pour donner la liberté du choix, il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel » (septembre 2012). Emmanuel Macron n’a jamais marqué sa distance avec ces propos et Vincent Peillon faisait partie de la promotion de la Légion d’honneur du 14 juillet dernier. Depuis 2017, le ministère de la Famille a disparu, timidement réapparu avec le ministère des Solidarités, signe du peu d’intérêt du président pour les familles et d’une confusion entre politique familiale et politique sociale. Enfin, l’effondrement de l’école et l’abandon de ses missions essentielles, au nom d’un égalitarisme abstrait, au profit de la diffusion de l’idéologie de la déconstruction (genre, écriture inclusive, décolonialisme, etc.) consacrent dans l’esprit des enfants de France le triomphe de l’individu souverain qui choisit ses vérités au mépris du réel. Pap Ndiaye fut le grand-prêtre éphémère mais ardent de cette nouvelle religion. Gabriel Attal saura-t-il réagir à ces idéologies ?

Ces exemples, parmi d’autres, montrent à quel point le président de la République méconnaît la famille, ses vertus et sa valeur. Tout à sa conception utilitariste de la famille, il l’ignore généralement et ne fait appel à elle que s’il en a besoin. Mais on ne décrète pas la responsabilité éducative des parents, on ne convoque pas la famille pour service commandé. Cellule sociale première et essentielle, ses vertus rayonnent sur tous les aspects de la vie sociale. Elle n’est pas un rouage parmi d’autres de la société, elle en est la pierre d’angle en tant que premier lieu d’apprentissage de la liberté et de la vie en société. Pour que cet apprentissage porte ses fruits, l’enfant a besoin de figures d’autorité : en premier lieu son père, puis son instituteur, ses professeurs et enfin tous ceux qui détiennent une autorité par la loi ou l’élection. C’est une folie de rejeter le père : en le rejetant, l’autorité symbolique devient un fantasme. Et c’est une faute de croire que l’enfant appartient d’abord à l’État. Le ministre de la Justice déclarait la semaine dernière que 60% des jeunes émeutiers du mois de juin vivaient dans une famille monoparentale.

Plusieurs alertes ont été données ces dernières années. En 2018, la Fondation des Femmes avait lancé une campagne sur l’égalité entre les hommes et les femmes et sur le rôle des pères dans l’éducation de leurs fils en s’inspirant du poème de Tu seras un homme, mon fils de Rudyard Kipling. A-t-elle été entendue ? Dès 2016, l’Institut Thomas More avait publié un livre intitulé L’Enfant oublié (éd. du Cerf), fruit d’un regard croisé inédit entre pédopsychiatres et juristes. Tout était déjà écrit sur les conséquences de la déconstruction de la famille. Ces deux initiatives avaient en commun d’aller chercher au cœur des familles les solutions à des problèmes sociaux et sociétaux présents et à venir. Une fois encore la famille n’est pas au service de l’État. Sur le plan socio-politique, elle le précède et l’excède.

Le rôle de l’État se situe dans la création et l’entretien d’un environnement cohérent et favorable à l’épanouissement des familles. Entendre un député de la majorité proposer la création d’une « école des parents » est révélateur – et marque de l’utilitarisme dont nous parlons. Ne sait-il pas que de nombreuses communes ont déjà des antennes de « soutien à la parentalité » pour aider les parents à prendre conscience de leurs droits et leurs devoirs et à exercer leurs responsabilités de parents en tant que premiers éducateurs de leurs enfants ? Ne sait-il pas que des associations familiales ont lancé des initiatives intéressantes depuis de nombreuses années, tels que les « Chantiers éducation » des AFC ?

Pour que les parents exercent leur responsabilité de parents, il convient non pas de se substituer à eux ou de leur donner des leçons d’en haut mais de les aider à devenir ce qu’ils sont – en leur faisant gagner en autonomie et en autorité mais aussi en assurance et en fierté (ce qui n’est pas négligeable face à des enfants et des jeunes difficiles). On n’en sera que plus fonder à sanctionner ceux qui n’assument pas leurs responsabilités. C’est donc, première urgence, à la reconstruction d’une politique familiale ambitieuse que devraient se consacrer Emmanuel Macron, son gouvernement et les parlementaires qui le soutiennent, une politique qui prenne en compte la famille dans tous les champs de l’action publique et non seulement au ministère du Budget et à celui ou des Solidarités.

Il faut ensuite, seconde urgence, abandonner la posture idéologique de la « déconstruction », celle qui nie la différence et l’altérité des sexes, celle qui remet en cause la distinction des générations, celle qui rejettent l’homme et le père, figure d’autorité nécessaire à la croissance de l’enfant.

Il convient enfin, troisième urgence, de promouvoir des choix favorables à la stabilité des familles et au bien-être des enfants qui y naissent. Osons regarder en face les conséquences de l’extension du recours à la PMA pour satisfaire un désir individuel des femmes seules sans prendre en compte les besoins de l’enfant à naître (la majorité des femmes qui ont recours à la PMA sont des femmes seules).

Les derniers chiffres de l’INSEE sonnent comme une alerte : un quart des familles françaises sont des familles monoparentales, 85% d’entre elles sont constituées de mères seules. Les familles monoparentales sont plus pauvres, connaissent un taux de chômage plus élevé, sont moins bien logées que les familles traditionnelles. Les enfants connaissent des difficultés plus profondes que les autres. En un mot, les familles monoparentales concentrent les plus grandes fragilités sociales, économiques et scolaires françaises.

Où est la cohérence d’un président qui laisse fabriquer par la loi la fragilité sociale qu’il prétend combattre par ailleurs ? Où est la cohérence des prises de position d’un président qui ne veut pas voir dans la rue les conséquences de ses défiances et de sa vision purement utilitariste de la famille ?


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