Baisse de la natalité · Les Français sevrés par l’État dans leur désir d’enfant

Gérard-François Dumont, professeur émérite de l’Université de la Sorbonne, directeur de la revue Population et avenir et membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

7 janvier 2024 • Analyse •


Entre janvier et novembre 2023, 621 691 bébés sont nés, soit 45 000 de moins qu’en 2022 sur la même période.


La France dispose de preuves incontestables du fait qu’elle aime ou aimerait accueillir des enfants. D’une part, la France est le pays d’Europe dont la proportion des naissances hors mariage est la plus élevée, plus de 60 %. Ce qui atteste que les nouveau-nés sont bien accueillis, qu’importe la situation juridique de leurs parents. D’autre part, le désir d’enfants, au fil des décennies, est, selon les enquêtes, demeuré stable à plus de 2,3 enfants par femme. Pourtant la fécondité, en France métropolitaine risque de tomber en dessous de 1,7 enfant par femme. Les explications plus ou moins sociologiques ne manquent pas : l’éco-anxiété, la peur de l’avenir, la crainte devant les changements climatiques, les incertitudes économiques, les violences géopolitiques…

On ne peut nier la portée de ces discours de peur qui diffusent un néomalthusianisme pour qui tout enfant supplémentaire est nécessairement nocif alors que, dans toute l’histoire de l’humanité, l’innovation est bien toujours venue des nouvelles générations. Toutefois, la rigueur scientifique conduit à mettre en évidence le facteur central de la dénatalité française commencée en 2015. En effet, l’examen détaillé de la fécondité de la France au fil des décennies montre des variations à la hausse ou à la baisse selon les périodes. Et chacune de ces inflexions s’est effectuée à la suite de changements positifs ou négatifs dans la politique familiale.

Or, l’année 2014 a été celle de l’annonce d’une remise en cause des principes même de la politique familiale auparavant toujours transpolitique, à l’exemple du quotient familial voté à l’origine à l’unanimité, comme à l’échelle des communes : les politiques familiales municipales n’étaient jamais remises en cause lorsqu’une alternance politique voyait un maire de gauche remplacer un maire de droite ou le contraire.

Depuis le milieu des années 2010, des mesures négatives pour les familles se sont multipliées : fin de l’universalité des allocations familiales, réforme conduisant à un congé parental rabougri, baisse continue du quotient familial…

Et, comme si cela ne suffisait, pas, il faut ajouter toutes les mesures négatives restreignant la possibilité d’avoir un logement plus grand – l’empilement des textes et des normes engendrant une forte baisse des mises en chantier – et les contraintes mises sur les communes qui ont fortement limité la réalisation de crèche sou de relais petite enfance propres à faciliter la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.

En conséquence, les Français n’ont plus de garantie minimum de soutien de l’Etat lorsqu’ils souhaitent accueillir un enfant ou un enfant supplémentaire. Ils n’ont pu que perdre confiance en une politique familiale très largement rabotée et qui ne correspond plus à un accompagnement durable dans les tâches d’éducation. Comparaison que certains trouveront étonnante, la France se retrouve en matière de politique familiale comme en matière de politique énergétique. Notre pays avait une énergie peu chère qui faisait souvent envie à l’étranger, et elle l’a remise en cause. Elle avait une politique familiale enviée en Europe et elle l’a largement mise à bas.

Les conséquences se mesurent directement : la fécondité de la France, la plus haute d’Europe à près de deux enfants par femme en 2014, n’est plus une exception. Et, comme l’enfant est un « élément actif » de l’économie, puisque sa présence stimule sa famille comme sa commune à mettre en œuvre ce qui est nécessaire pour l’accueillir et concourir à son éducation, cela va engendrer des conséquences négatives à court terme comme à moyen terme, avec la baisse de la population active, celle qui crée des richesses indispensables au financement des besoins publics comme au système de protection sociale.

La France doit retrouver les voies d’une politique familiale qui donne à chaque couple la liberté de choix de son nombre d’enfants, et mettre fin au divorce entre un État qui s’est mis à ne plus aimer les enfants et une population dont le désir d’enfants est demeuré élevé.