12 janvier 2024 • Opinion •
Les promesses de la rénovation énergétique ne sont pas tenues. Noé Morin, qui vient de publier la note Performance énergétique et isolation des bâtiments : vrais défis et fausses pistes, explique que, pour agir efficacement, il faut adopter les bons outils.
Une bonne partie des efforts européens pour atteindre la neutralité carbone se concentrent sur la rénovation énergétique des bâtiments. Alors que la Commission européenne a durci la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments, rehaussant considérablement l’objectif européen contraignant de rénovation énergétique, le débat sur l’isolation thermique des bâtiments refait surface. L’exécutif européen a fait savoir qu’une enveloppe significative de 150 milliards d’euros de financement public serait mise à disposition des États membres pour rénover les logements en situation de précarité énergétique, tandis que les engagements du Green Deal européen contraignent les États-membres à mettre fin à leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. De fait, dans l’Union européenne, 36% des émissions de gaz à effet de serre sont imputables au parc immobilier. Il s’agit donc d’un enjeu important, vis-à-vis duquel la Belgique et ses voisins sont déterminés à agir. Mais pour agir efficacement, encore faut-il adopter les bons outils.
Or, l’isolation thermique des bâtiments s’avère beaucoup moins efficace que prévu. Les résultats d’une étude de l’université de Cambridge publiée en janvier 2023 démontrent que l’isolation des combles et des murs à cavité des logements existants au Royaume-Uni (plus de 55 000 logements sur douze ans) ne réduit la consommation de gaz que pendant la première ou les deux premières années, tandis que toutes les économies d’énergie disparaissent quatre ans après la rénovation. En plus d’une durée d’efficacité extrêmement réduite, les isolants thermiques ont entraîné une baisse très marginale de la consommation en gaz des logements rénovés. À l’heure où les pouvoirs publics multiplient les incitations à l’isolation et où les particuliers engagent des sommes parfois considérables pour rénover leur logement dans l’espoir de faire diminuer leur facture d’énergie, les promesses de la rénovation énergétique ne sont pas tenues. Si la plupart des solutions isolantes sont efficaces à court terme, elles perdent tout bienfait après quatre ans, quand leur mise en œuvre n’est pas tout bonnement défectueuse.
Dilemme cornélien
Deuxièmement, en plus de leur relative inefficacité à faire baisser la consommation d’énergie des ménages, la plupart des techniques d’isolation actuelles (à l’exception de l’isolation à base de matériaux biosourcés comme le chanvre, le bois, la paille, la terre, etc.) menacent l’intégrité du bâti ancien. L’architecture d’avant-guerre qui, soit dit en passant, représente la majorité du parc immobilier public belge, repose sur la ventilation et la respiration naturelles des bâtiments, qui rendent possible l’exceptionnelle longévité des structures (édifices souvent pluri-centenaires). Mais en combinant ces principes avec les méthodes actuelles d’isolation thermique qui reposent sur l’herméticité et l’étanchéité, on met en danger le bâti ancien qui est alors menacé de pourrissement. Les propriétaires, qui sont parfois menacés d’être exclus du marché locatif s’ils ne rehaussent pas la performance énergétique de leur logement, sont en face d’un dilemme cornélien qui les pousse à opter pour des méthodes d’isolation dommageables et irréversibles.
On oublie généralement que la première condition de l’isolation réside dans l’inertie thermique des matériaux de construction eux-mêmes comme la terre cuite et crue, la pierre, le bois, etc. C’est la massification des constructions en béton armé après 1945, dont l’inertie thermique est extrêmement faible, qui contraint les maîtres d’œuvre à calfeutrer les nouveaux bâtiments par des couches sans cesse plus épaisses d’isolants. En fin de compte, c’est parce que les méthodes de construction ont radicalement changé en faveur du béton que l’isolation par l’intérieur ou par l’extérieur est devenue l’alpha et l’oméga de la rénovation énergétique.
Trois maisons en une vie
Enfin, l’absence de ventilation et de régulation naturelles de l’hygrométrie des nouvelles constructions, en plus de la mise en œuvre de matériaux de construction aux durées de vie fort différentes, font chuter la longévité du bâti neuf. Il n’est pas rare, de nos jours, d’assister à la démolition de bâtiments construits il y a trente ans à peine. À ce rythme, un individu devra changer trois fois de maison au cours de sa vie. Or, l’essentiel de l’énergie consommée par un édifice, de 60 à 90% pour être exact, provient de ses phases de construction et de démolition. Ce devrait être la priorité de politiques publiques réellement écologiques que d’allonger au maximum la durée de vie du parc immobilier belge pour limiter sa consommation d’énergie grise. Face à l’obsolescence de plus en plus rapide des nouvelles constructions, il appartient au législateur de donner l’avantage aux constructions de conception traditionnelle qui ont fourni la preuve de leur résistance au passage du temps et aux changements de milieux.
Coefficient d’enracinement
Il y aurait fort à faire pour verdir le secteur de la construction, à commencer par limiter la distance parcourue par les matériaux de construction et privilégier la pérennité des édifices. Ces propositions pourraient prendre la forme d’un nouveau “coefficient d’enracinement”, simple et efficace, qui aurait pour but d’augmenter considérablement la durée de vie du bâti en incitant les particuliers à recourir aux matériaux biosourcés et locaux, à des corps de métier qualifiés et à des techniques de construction durables. Ce coefficient reposerait sur une nomenclature des matériaux, techniques et corps de métier permettant le calcul du degré d’écologie et d’implantation locale des constructions. Il conserverait l’ambition de la Performance Énergétique des Bâtiments (PEB) tout en lui donnant les moyens de son ambition : pour être véritablement respectueux de l’environnement, le bâti doit être pérenne, faire appel à des matériaux et des corps de métier locaux et être en harmonie avec l’histoire et les paysages.