17 avril 2024 • Opinion •
Récemment interrogé sur la performance énergétique du bâti bruxellois, Léo Van Broeck, président du groupe d’experts climat de la Région bruxelloise, a annoncé que le patrimoine ne pourra pas être entièrement conservé si la région veut remplir ses objectifs d’isolation des bâtiments. Noé Morin, auteur de la note Performance énergétique et isolation des bâtiments : vrais défis et fausses pistes, et Virgil Declercq, appellent à l’étude du bâti ancien avant de promouvoir des solutions écologiques de court terme.
Léo Van Broeck, président du groupe d’experts climat de la Région bruxelloise, était l’invité de l’émission « Bonjour Bruxelles » sur BX1 où il s’est fendu d’une déclaration fracassante. Interrogé sur la performance énergétique du bâti bruxellois, il a annoncé que le patrimoine ne pourra pas être entièrement conservé si la région veut remplir ses objectifs d’isolation des bâtiments, assumant parfaitement que « le look d’une grande partie des bâtiments va changer ». Selon lui, de nombreuses maisons anciennes seront difficiles à isoler et une grande partie du « petit patrimoine » – entendons par là le patrimoine non-classé – devra s’adapter au péril de son intégrité aux exigences de l’isolation thermique des bâtiments. Alors, devant ces prédictions apocalyptiques, il serait bon de rappeler plusieurs choses.
Rappelons d’abord que l’écologie du bâtiment est aujourd’hui calculée à l’aide du certificat PEB qui prend en compte la nature du système de chauffage d’un bien et son degré d’isolation. Ces valeurs résument à elles seules, aux yeux des instances décisionnaires, si un bien est « respectueux de l’environnement » ou non. Et pourtant, elles donnent une fausse image de l’écologie véritable du bâti pour la simple et bonne raison qu’elles omettent l’essentiel : l’énergie grise consommée par l’acte de construire, l’obsolescence galopante du nouveau bâti, sans parler du transport international des matériaux de construction et des innombrables défauts de l’architecture en béton armé. Ces problèmes ne se règleront qu’au prix d’une mutation profonde du système économique qui doit revoir l’ordre de ses priorités : le local avant le global, la préservation plutôt que la démolition, le durable contre l’éphémère.
« Énergie grise »
Deuxièmement, la majeure partie (de 60 à 90 %) du bilan carbone des nouvelles constructions provient de leurs phases de construction et de démolition. Or, cette « énergie grise » n’est jusqu’ici pas prise en compte. Il suit que le bâti le plus écologique est indéniablement le bâti existant puisqu’il a le mérite d’exister et d’être « neutre en carbone », et ce depuis longtemps ! Le patrimoine bruxellois devrait donc, à ce titre, bénéficier d’un coefficient écologique favorable. En effet, la performance est souvent mise en avant au détriment de la durabilité et de la résilience des bâtiments. Le bâti ancien, avec son caractère bioclimatique, offre une pérennité et une capacité de résilience bien plus fortes que le bâti moderne.
Troisièmement, les dispositifs contemporains d’isolation, en particulier ceux qui relèvent des isolants chimiques comme le polystyrène expansé ou le polyuréthane, sont parfaitement étanches. De même pour les fenêtres en PVC de fabrication industrielle qui ne contiennent pas les dispositifs d’évacuation de l’humidité des châssis en bois artisanaux, et qui font dangereusement augmenter l’humidité ambiante. Lorsque des isolants étanches ou des enduits de ciment recouvrent un bâtiment de conception traditionnelle (en briques, en pierres, en terre ou en bois), ils empêchent l’humidité intérieure de s’évaporer et provoquent le pourrissement des structures. L’humidité est prisonnière de la coque isolante de telle sorte qu’après quelques années, le bâti traditionnel s’en trouve gravement dégradé.
Une étude jette le doute sur les solutions isolantes actuelles
Notons que la majorité des isolants de fabrication récente ne sont pas biosourcés et que l’isolation par l’extérieur du bâti ancien fait des ravages. Il est grand temps de prendre des mesures pour inverser la tendance et promouvoir des pratiques de construction et d’isolation plus saines, plus durables et respectueuses de l’environnement.
Le bâti traditionnel (majeure partie du patrimoine) repose sur la respiration naturelle et l’autorégulation de l’humidité ambiante. La rénovation énergétique repose au contraire sur la chasse aux ponts thermiques et l’herméticité des constructions. Ces deux logiques sont antagonistes ; elles ne peuvent cohabiter. Il n’appartient pas seulement aux pouvoirs publics de décourager mais également d’interdire rigoureusement l’emploi de ces méthodes d’isolation sur le bâti ancien (juridiquement défini comme le bâti pré-1948).
Cerise sur le gâteau : une récente étude publiée par l’université de Cambridge jette le doute sur les solutions isolantes actuelles. Les chercheurs de Cambridge observent que l’isolation des bâtiments ne réduit la consommation d’énergie que pendant la première ou les deux premières années, tandis que toutes les économies d’énergie disparaissent quatre ans après la rénovation.
Ces facteurs, dénoncés depuis longtemps, doivent être intégrés à notre vision économique. Il est désormais nécessaire que les marchés publics s’orientent vers l’intégration de clauses éthiques et environnementales, avec un accent particulier sur la durabilité. Nous devons nous éloigner de l’époque où l’optimisation prédominante était construite sur la pauvreté des interactions, pour entrer dans une société de durable, fondée sur la richesse et la diversité des liens.
Étudier avant d’agir
En conclusion, nous appelons à l’étude du bâti ancien avant de promouvoir des solutions écologiques de court terme. D’après l’architecte Lucien Kroll, « aujourd’hui, parmi les quinze mille matériaux de construction répertoriés, moins d’une centaine sont jugés acceptables. Dans ce contexte, il est impensable que l’architecture demeure inchangée, comme elle l’a été au cours des soixante-quinze dernières années ». Les experts vont surtout devoir s’attacher à comprendre les solutions écologiques ancestrales avant de chercher à les réformer. Un nombre insuffisant de spécialistes et l’absence de communication entre les différents acteurs de la rénovation (investisseurs, architectes, artisans, experts et restaurateurs) rendent difficile l’application à grande échelle des connaissances pratiques en matière de conservation des bâtiments.