Geneviève de Galard, exemple de courage et de sacrifice, doit entrer au Panthéon

Charles Millon, ancien ministre, fondateur et administrateur de l’Institut Thomas More

7 juin 2024 • Opinion •


Charles Millon, ancien ministre de la Défense, plaide pour l’entrée au Panthéon de « l’ange de Diên Biên Phu » décédé à l’âge de 99 ans, le 30 mai dernier. L’ancienne infirmière militaire incarnait les « valeurs d’honneur et de grandeur d’un monde ancien ».


J’appartiens à cette génération d’après-guerre dont la première prise de conscience de l’histoire remonte à la chute de Diên Biên Phu, le 7 mai 1954. Terrible bataille loin de la terre de France, dont l’on a commémoré les 70 ans il y a quelques semaines, à bas bruit.

J’étais enfant, mais je me souviens de la tension qui montait jour après jour au rythme des mauvaises nouvelles ; je me souviens de la fanfare silencieuse du 8 mai au matin, où les seuls tambours scandaient la complainte du deuil. Je me souviens des mines sombres, des crêpes noirs au bras des adultes. Je me souviens avoir pleuré ce soir-là. Parce que je prenais pleinement conscience que l’histoire venait de s’écrire de manière tragique. C’est cet événement qui a permis au petit garçon de huit ans que j’étais de comprendre que l’histoire s’écrit au présent. Au présent tragique. Mais c’est aussi là que j’ai probablement pris un peu confusément conscience que la France était un pays, une nation : quelque chose d’incarné.

Je ne crois pas que les générations suivantes puissent pleinement saisir ce que fut la chute de Dien Bien Phu pour la mienne. Même le 11 septembre ou le Bataclan ne sont pas du même ordre.

Si Dien Bien Phu c’est la nuit qui couvre notre pays, une nuit sombre, noire, dans cette nuit, luit cependant une étoile. Une belle étoile : Geneviève de Galard, « l’ange de Dien Bien Phu ». Elle figure à elle seule tant de choses : l’abnégation, le don gratuit prêt au sacrifice ultime pour la patrie. L’héroïsme chrétien dans l’humilité du service des autres, en l’occurrence des soldats mourants. Cette jeune femme, douce infirmière si seule et si vulnérable au milieu d’un monde d’hommes et de violence extrême, à ce moment-là, devient la dépositaire et l’incarnation de l’âme de la France.

Les journalistes, chez nous, mais aussi partout dans le monde et en particulier aux États-Unis, comprendront bien vite qu’il y avait en elle la résurgence des valeurs d’honneur et de grandeur d’un monde ancien, quand les politiques, les dirigeants, les gouvernants, les nouvelles élites avaient failli, été si petits, si médiocres qu’ils avaient conduit le pays au désastre et les héros à la mort.

J’ai toujours cru qu’à sa mort, il faudrait faire entrer Geneviève de Galard au Panthéon. Pour elle. Pour eux tous.

Certes, madame de Galard a été honorée de son vivant pour ses faits de guerre. Le général de Castries qui commandait le camp retranché, lorsqu’il la fit chevalier de la Légion d’honneur au cours même de la bataille, savait déjà que la jeune femme « restera pour les combattants de Dien Bien Phu, la plus pure incarnation des vertus héroïques de l’infirmière française ». Certes, notre contemporaine qui nous quitte à 99 ans ne fut pas Jeanne d’Arc et jamais ne commanda de troupes au feu. Mais au contraire, elle porta au plus haut point l’amour du faible, du blessé, du mourant, qu’elle manifesta par son dévouement sans limite le soin extrême que réclame toute vie humaine, même à l’article de la mort, surtout à l’article de la mort.

Quand encore selon les mots de sa distinction militaire, elle « a suscité l’admiration de tous par son courage tranquille et son dévouement souriant », elle fait définitivement « partie de cette opposition qui s’appelle la vie », comme disait Balzac ; opposition à tous les découragements, à tous les démons de l’à-quoi bon, à toutes les abdications, à toutes les capitulations, et à toutes les trahisons devant l’ennemi.

Notre temps, autant que les autres, parfois peut-être plus que les autres, a besoin de ces exemples de courage, de sacrifice, dont l’exercice est finalement à la portée de chacun pourvu qu’il ait la foi et le courage de faire le premier pas.

C’est pourquoi je vous demande, monsieur le président de la République, au nom du petit garçon que je fus, au nom de tous les petits enfants que nous fûmes et que nous sommes encore, aux regards béats d’admiration devant une jeune femme qui sous les bombardements de fer et de feu risqua cent fois sa vie pour soigner et sauver son prochain, de bien vouloir que la République admette parmi ses héros et ses saints cette nouvelle âme de feu, « l’ange de Dien Bien Phu ».