Décomposition de la droite française, suite et fin ?

Jean-Thomas Lesueur, directeur général de l’Institut Thomas More

20 juin 2024 • Opinion •


La dissolution décidée par le président de la République plonge la France dans une confusion profonde. La crise de régime guette et rien ne permet d’affirmer que les résultats au soir du 7 juillet permettront de rendre au pays stabilité et sérénité. Dans ce contexte, l’avenir de la droite, en crise depuis des années, est plus qu’incertain. Il est trop facile néanmoins de s’en prendre à Emmanuel Macron ou au Rassemblement national. Jean-Thomas Lesueur explique pourquoi la droite est la première responsable de ce qui lui arrive. Il rappelle quarante années d’incurie, de lâcheté intellectuelle et de fautes stratégiques. Faut-il sauver la droite la plus bête du monde ? Et est-ce seulement encore possible ? Entre les LR « canal historique » qui espèrent que l’effondrement de la macronie et la radicalisation effrayante de la gauche vont rétablir le clivage gauche-droite et les remettre en selle, et Éric Ciotti qui brise le vieux tabou de l’alliance avec le RN, c’est la survie de la droite qui est en jeu. L’heure du choix crucial a sonné.


Nous voici donc plongé dans une campagne électorale de vingt jours, qui s’annonce folle et brutale. Le « dépassement » macronien, qui est au vrai un simplisme vénéneux pour la démocratie, pousse le pays à la crise de nerf et peut-être à la crise de régime. Le paysage politique se trouve à la fois hérissé et désolé, l’hypercentre discrédité et puissamment rejeté. L’extrême-gauche montre un visage effrayant, islamo-gauchisme, antisémitisme décomplexé et néo-socialisme en étendards. Beaucoup doutent de la capacité du Rassemblement national, premier parti de France et de loin, à gouverner. La droite, dont la macronie travaille à l’évaporation depuis sept ans, est à son point de non-retour. Est-elle vouée à disparaître ou peut-elle encore se métamorphoser ?

Faute et erreur du chiraquisme

Cela fait quarante ans que le Rassemblement national (à l’époque Front national) a surgi dans la vie politique française quand il obtint 10,95% aux élections européennes (déjà…) de 1984. On sait le rôle que François Mitterrand joua dans cette émergence, vouée à gêner la droite sur sa droite. On peut reprocher son cynisme à l’ancien président socialiste mais reconnaissons que la manœuvre fut efficace. Il ne sert à rien de s’en prendre à l’habilité de son adversaire : mieux vaut s’interroger sur ses faiblesses et ses erreurs pour les corriger.

C’est ce que ne sut par faire la droite pendant plus de vingt ans, dominée par un chiraquisme quiet et paresseux qui reçut son onction morale lors du deuxième tour de l’élection présidentielle de 2002. Face à Jean-Marie Le Pen, Jacques Chirac fut réélu avec un score de dictateur. Personne n’en eut cure. La République était sauvée. Le « cercle de la raison » respirait. Dans les institutions comme sur les plateaux télé, la moraline coulait à flot.

A la faute institutionnelle que constitua l’acceptation du passage au quinquennat en 2000, Jacques Chirac ajouta le contresens politique en soutenant la création de l’UMP (2002). Flanqué du « meilleur d’entre eux » Alain Juppé, il engagea le processus de réduction de l’espace politique de la droite en fondant en un seul parti ses sensibilités différentes et concurrentes. En France, la droite n’existe pas : ce sont des droites qui cohabitent. En mêlant centristes, libéraux, gaullistes et conservateurs (qui ne disaient pas encore leur nom), l’UMP fut une machine à perdre.

2007-2017 : le début de la fin

Car la victoire de la droite « musclée » de Nicolas Sarkozy en 2007 fut une victoire en trompe-l’œil. Avant tout parce que son quinquennat débuta avec la trahison du traité de Lisbonne. En faisant ratifier par le Congrès un traité peu ou prou identique à celui rejeté par les Français lors du référendum deux ans auparavant, Nicolas Sarkozy choisit Bruxelles et les élites contre le peuple. 2007 est une date majeure dans l’histoire du divorce entre elles et lui. La droite y perdit définitivement son assise populaire.

A quoi s’ajoute que ce quinquennat brouillon et fébrile n’obtint que peu de résultats politiques. Sur la question migratoire par exemple, malgré deux lois votées, la création d’un ministère dédié et l’organisation d’un étrange « débat sur l’identité nationale » (confié à un ministre venu de la gauche), aucune inflexion sensible et pérenne des flux ne fut observée. La crise financière, toujours présentée comme une excuse, n’explique pas tout.

Masquée un temps par la présence de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, les dissensions entre les différentes familles de l’UMP (devenue les Républicains en 2015) ne firent que croître à partir de 2012. Le parti cessa de réfléchir et de produire des idées. Il plongea dans la « post-politique », dont Emmanuel Macron sera bientôt le parangon : mélange d’approche managériale, de morgue technocratique et de pauvreté intellectuelle.

Les divergences, accompagnées parfois de querelles publiques, s’approfondissaient à mesure que l’espace politique se réduisait. La cure d’opposition pendant le quinquennat Hollande ne fut mise à profit ni pour une réorientation stratégique, ni pour un travail de fond programmatique. La défaite de François Fillon en 2017 sonna le glas de l’illusion (que nous partageâmes, il convient de le dire) d’une « majorité conservatrice » dans le pays et marqua la fin de la droite comme force structurante de la vie politique française.

La disparition de l’espace politique de la droite

Depuis sept ans, il ne s’est rien passé d’important : aucune remise en cause, aucune idée neuve, aucun plan de bataille audacieux. Depuis sept ans, ses responsables expliquent que c’est en ne faisant alliance ni avec Emmanuel Macron, ni avec le Rassemblement national, que la droite retrouvera le chemin de la victoire. Que c’est en défendant ses idées et ses valeurs propres qu’elle retrouvera la confiance des Français. Quelles idées ? Quelles valeurs ? On l’ignore.

En attendant, prise en tenailles par la macronie ultra-technocratique et le RN en cours de normalisation, la droite voit, il faut y insister, son espace politique disparaître. Car ce n’est pas, ce n’est plus, primordialement une question d’incarnation et de leadership : Valérie Pécresse n’a certes obtenu qu’un tout petit 4,78% au premier tour de l’élection présidentielle de 2022 avec un discours plutôt centriste mais François-Xavier Bellamy n’a réuni que 7,25% des électeurs lors des européennes sur un positionnement plus droitier.

Demain ?

Dans la reconfiguration en cours, il n’y a plus qu’une portion extrêmement congrue disponible pour un parti qui n’a tiré aucune leçon des quarante années qui viennent de s’écouler et qui est le premier responsable de ce qui lui arrive. Voué à un rôle marginal, il lui reste à ce stade à choisir de qui il sera le supplétif ou le satellite. Mais pour demain ?

Dans la bagarre qui l’oppose désormais à ses anciens amis, Éric Ciotti fait un choix de rupture en choisissant de franchir le pas de l’alliance avec le Rassemblement national. C’est au totem érigé il y a quarante ans qu’il s’en prend. Il le fait sous les cris indignés de beaucoup dans son camp mais, somme toute, en suivant le chemin déjà parcouru par bon nombre de ses électeurs. Quant aux LR « canal historique », ils semblent espérer que l’effondrement de la macronie sonne l’heure du retour au clivage gauche-droite. Face à une gauche radicalisée et alors que le RN campe sur sa position « ni droite, ni gauche » (à rebours de Geogia Meloni en Italie), leur longue patience devrait être bientôt récompensée – sinon en 2024, en 2027.

Illusion ou juste anticipation ? Les doutes sont permis. Mais l’audace tactique d’Éric Ciotti sera-t-elle plus payante ? Si tel est le cas, saura-t-il maintenir son autonomie et sa liberté vis-à-vis du RN ? De ces questions, qui en gênent encore beaucoup mais qui sont incontournables, dépendent l’avenir ou la fin de la droite française.