Élections au Royaume-Uni · Comment restaurer la confiance entre l’élite et le peuple ?

Marc Le Chevallier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

7 juillet 2024 • Opinion •


Si la victoire du Labour est écrasante, la plupart des acteurs, à commencer par Keir Starmer le nouveau Premier ministre, ont conscience que ce mandat représente la dernière chance pour restaurer la confiance du peuple dans les institutions traditionnelles du pays avant l’avènement de forces « populistes » plus imprévisibles.


Avec 412 députés sur 650, c’est une victoire historique pour Keir Starmer. Et pourtant, l’ambiance générale parmi l’élite britannique, du parti travailliste aux milieux d’affaires, n’est pas à la célébration : elle est au soulagement mêlé de crainte. Andrew Marr, chroniqueur du journal de centre-gauche New Statesman, écrit seulement quelques heures après la victoire officielle de Keir Starmer : « le parti travailliste a reçu un avertissement ». C’est en effet une victoire en sursis. Pour beaucoup dans l’élite britannique, ce mandat représente la dernière chance pour restaurer la confiance du peuple dans les institutions traditionnelles du pays avant l’avènement de forces « populistes » plus imprévisibles.

Au cœur de ces inquiétudes, c’est le fondement historique de toute démocratie libérale qui est en jeu : le pacte de confiance entre peuple et élite au sein d’une même communauté politique, la nation. C’est sur cet accord fondamental que se sont construites les démocraties libérales en Occident. Le peuple national accorde sa confiance à l’élite et ce dernier le sert et contribue à sa prospérité. Cependant, comme l’a bien expliqué Christopher Lasch dans La révolte des élites, cet accord a été fragilisé dès les années 1980. Ce processus de fragilisation s’est accéléré avec l’émergence de forces populistes (ou « anti-élite ») à partir des années 2010.

Le vote du Brexit en 2016 fut perçu comme la consécration de cette énergie populiste, venant des régions post-industrielles surnommées au Royaume-Uni les Left Behind areas (les « laissés-pour-compte »). Mais, après des décennies d’une élite coupée des attentes démocratiques et nationales d’une partie de la population britannique, le Brexit a donné une opportunité inédite à l’élite du pays : restaurer son pacte avec le peuple. En respectant le vote du Brexit, à l’inverse de ce qui fut fait en France avec le traité de Lisbonne en 2007, la classe politique britannique avaient réussi, au moins temporairement, à maîtriser la vague populiste. Ce pacte de confiance s’était même solidifié en 2019 lors de l’élection de Boris Johnson. Le parti conservateur avait alors réussi à triompher en promettant deux choses : accomplir le Brexit et restaurer la fierté des zones périphériques du pays. Mais le parti a progressivement perdu en crédibilité puisque les maux initiaux du Brexit n’ont pas été traités. Les inégalités régionales ont progressé, l’immigration a augmenté et la pauvreté a explosé.

Les élections du 4 juillet ont montré que l’accord est de nouveau en train de se rompre et le parti conservateur en a payé les frais. En effet, après seulement quelques heures, le consensus était clair : c’est le parti populiste de droite Reform UK, dirigé par l’ancien eurodéputé Nigel Farage, qui a permis au parti travailliste de remporter les élections. Ce parti, qui n’existe que depuis 2020, a récolté 14% du vote populaire, soit quatre millions de voix. Sa progression dans un grand nombre de circonscriptions à travers le pays a réduit les votes conservateurs au profit des candidats travaillistes. Ces derniers n’ont souvent pas accru leur nombre de voix mais en ont simplement moins perdu que les candidats conservateurs.

Keir Starmer a assurément réussi à tirer profit de cette occasion. Mais il le sait, cela reste une victoire sous surveillance. Au fil de la nuit et de la tombée des résultats, un autre point majeur est devenu de clair : la montée de Reform UK ne se limite pas à quelques sièges côtiers pro-Brexit mais lui a permis de prendre la deuxième place dans de nombreuses circonscriptions travaillistes. Cette progression « populiste » (ou anti-élite) n’est pas seulement réservée à la droite. Il y a eu une progression sans précédent d’un vote propalestinien, parfois appelé « vote musulman » : cinq circonscriptions ont été gagnés par des deéputés propalestiniens – le nouveau ministre la santé travailliste Wes Streeting est passé à 528 voix de la défaite. Une statistique frappante : le parti travailliste a perdu dix points dans les circonscriptions où plus de 10% de la population est musulmane.

Le principal défi de Keir Starmer va donc être de restaurer la confiance entre l’élite et le peuple, condition essentielle au bon fonctionnement de nos démocraties libérales. Le nouveau Premier ministre britannique le sait : il l’a prouvé dès son discours d’investiture. À l’opposé des propos mâles et sûrs d’eux de nombreux responsable politiques français, il a prononcé un discours humble et réaliste : les électeurs ont voté pour le « retour de la politique au service du public ». Selon lui, « quand l’écart entre les sacrifices faits par les gens […] et le service qu’ils reçoivent des politiciens […] devient si grand, cela conduit à une lassitude au cœur de la nation ». Il semble ainsi comprendre que sa responsabilité, et celle de l’élite, est de servir le peuple pour justifier sa position et restaurer leur pacte historique. Ses mesures politiques phares vont dans ce sens : un modèle économique qu’il qualifie de « patriotique » et un plan de dévolution de libertés et de compétences aux collectivités et aux citoyens directement.

Une fois de plus, le parallèle entre le Royaume-Uni et la France est utile mais pas parfait. Dire que la France traverse une crise de confiance entre le peuple et l’élite n’est plus exact. L’accord entre l’élite et le peuple est rompu. La trahison du référendum de 2005 a été une date charnière. Tout comme 2017 lorsque Emmanuel Macron l’a emporté grâce à l’électorat presque exclusif des métropoles et des « gagnants de la mondialisation ». Aujourd’hui, la France vit non pas un moment de rupture mais de confrontation entre le peuple et l’élite, source principale de la crise qui se joue sous nos yeux depuis trois semaines. Cette crise risque de durer tant qu’aucune force politique ne cherchera sérieusement et sincèrement à reconstruire cet accord. Quelle leçon principale à tirer du Royaume-Uni ? Peut-être ce slogan que le nouveau Premier ministre a martelé durant toute la campagne : « Le pays d’abord, le parti ensuite ».