Donald Trump et JD Vance sont-ils l’incarnation d’un tournant social du conservatisme ?

Adrian Pabst, directeur adjoint du National Institute of Economic and Social Research (Londres) et membre du conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

22 juillet 2024 • Opinion •


Pour Adrian Pabst, le choix de J.D. Vance comme candidat à la vice-présidence des États-Unis traduit un phénomène nouveau dans nos sociétés occidentales : l’émergence d’une droite qui conjugue une critique du capitalisme sauvage avec la défense de la dignité du travail.


Le choix de JD. Vance comme candidat à la vice-présidence des États-Unis met en exergue un nouveau phénomène de la politique occidentale : l’émergence d’un conservatisme de gauche. Dans le cas de JD. Vance, il s’agit d’une «droite de gauche» qui conjugue une critique du capitalisme sauvage avec la défense de la dignité du travail, deux sujets sur lesquels les Républicains sont muets depuis Ronald Reagan, tout comme la grande majorité de la droite européenne. Condamner l’exploitation par les multinationales et les Gafam ainsi que soutenir les syndicats pour négocier une hausse des bas salaires, serait un véritable tournant à gauche des mouvements conservateurs, à l’instar de Donald Trump et de son co-équipier.

De surcroît, Donald Trump et J.D. Vance s’attaquent aux autres vaches sacrées des progressistes de droite comme de gauche, comme la libre circulation des personnes liée à l’immigration de masse, la mondialisation effrénée, le libre-échange et les guerres interminables – politiques dont les premières victimes ont été les classes populaires qui depuis une décennie ne font plus aucune confiance aux élites occidentales. C’est le réalignement des classes populaires au profit des Républicains qui, dans l’état actuel des choses, propulsera très probablement Donald Trump et son colistier au pouvoir lors de l’élection présidentielle le 5 novembre prochain.

Vance est loin d’être le seul exemple du conservatisme de gauche. L’on retrouve des éléments chez le premier ministre hongrois Victor Orban et la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni du côté de la droite dite national-populiste. Ou encore chez Sahra Wagenknecht et la première ministre danoise Mette Frederiksen du côté de la gauche post-libérale. Malgré des différences considérables, les conservateurs de gauche défendent une vision de la politique au-delà de la technocratie élitiste et du pur populisme anti-élite. Ils luttent en faveur d’une réconciliation des intérêts entre classes, entre cultures et entre nations.

Caractérisé de réactionnaire par les classes dirigeantes, le conservatisme de gauche est complexe et divisé sur les questions éthiques comme l’avortement, les questions identitaires comme l’assimilation ou l’intégration, les questions politiques comme la réforme de l’Union européenne ou encore les questions économiques comme le capitalisme d’État ou l’économie sociale de marché. Chez les conservateurs de gauche, il n’y a jusqu’à présent ni synthèse idéologique ni programme politique cohérent.

En France, le courant conservateur de gauche fut incarné par certains gaullistes sociaux comme Philippe Séguin et des nationaux républicains à l’exemple de Jean-Pierre Chevènement qui convergeaient autour d’un projet politique bâti sur le pouvoir souverain de l’État-nation, l’euroscepticisme et une économie au service des classes populaires. Quand bien même aucun parti politique ne se réclame du conservatisme de gauche, il garde une importance intellectuelle pour unir les droites autour d’un projet d’économie politique populaire et peut-être même les gauches autour d’un projet de société modéré, focalisé sur la sécurité économique et culturelle. Pour l’instant on en est loin. Or Lénine avait sans doute raison sur une chose : «Il y a des décennies où rien ne se passe; et il y a des semaines où des décennies se produisent».

Grâce aux idées du courant conservateur de gauche, il est possible d’envisager un contrat de gouvernement à la fois radical et réaliste qui permettrait d’augmenter rapidement le pouvoir d’achat des classes populaires par une plus juste redistribution de la valeur créée, tout en réformant en profondeur un État à bout de souffle par une amélioration drastique de l’efficacité de la dépense publique partout où c’est nécessaire, et une redéfinition des fondements et du sens de sa mission. Voilà des éléments d’une feuille de route que l’on pourrait souhaiter à un futur chef de gouvernement ayant comme objectif un contrat social au service d’une prospérité économique aux fruits justement répartis. Cela aurait l’immense mérite d’être potentiellement majoritaire dans le pays et à l’Assemblée. Au-delà du binaire progressiste-populiste, la montée des conservateurs de gauche annonce de nouvelles alternatives politiques.