La France doit refonder son alliance avec le Maroc

Jean-Thomas Lesueur, directeur général de l’Institut Thomas More

30 juillet 2024 • Opinion •


Anticipant un changement de position de la France sur le dossier du Sahara occidental, à l’occasion d’une possible visite du président Macron à Rabat d’ici à la fin de l’année, le ministère algérien des Affaires étrangères a fait part le 25 juillet dernier du « grand regret et la désapprobation profonde » d’Alger face à une évolution éventuelle de la position française. Brandissant une menace à peine voilée, le gouvernement algérien affirme qu’il « tirera toutes les conséquences qui découlent de cette décision française et dont le gouvernement français assume seul la pleine et entière responsabilité ».

Cette nouvelle intimidation dit beaucoup de l’agressivité d’Alger et de sa solitude diplomatique. Elle dit aussi quelque chose en creux, espérons-le, de la fin du « pari algérien », pour reprendre la formule de l’ambassadeur Xavier Driencourt, d’Emmanuel Macron qui avait trop donné ces dernières années à un partenaire systématiquement rétif et critique. Alors que le pays organise une élection présidentielle sans surprise et sans enjeux (la réélection d’Abdelmajid Tebboune est à peu près garantie) le 9 septembre prochain, un peu de battage anti-français ne fait pas de mal. Mais cela devrait pousser les Français à réfléchir très sérieusement.

Face à la donne internationale actuelle, l’Occident – rongé en interne par les humeurs noires du wokisme, du décolonialisme et de la haine de soi – est en plein désarroi. L’isolationnisme travaille la vision américaine du monde et constitue une tentation grandissante de pas mal d’esprits européens. Il convient d’y résister à toute force : la stratégie du repli et de la forteresse serait mortifère. Vu l’ampleur des forces hostiles, nous n’avons d’autre choix que de défendre les lignes à l’avant.

Dans un monde instable et fracturé, un monde qui craque, dans lequel les appétits ne se cachent plus et la guerre entre États a fait son retour, nous avons besoin d’alliés. Le camp occidental a besoin d’alliés. De l’Indopacifique à la Méditerranée, en passant par l’Afrique et le Moyen-Orient, une « internationale des bonnes volontés » doit s’élever contre l’alliance, de moins en moins informelle, des puissances agressives et revanchardes. Des initiatives existent déjà. C’est le cas du Quad dans la région indopacifique, alliance entre quatre pays (Japon, États-Unis, Australie et Inde) qui devient un acteur incontournable face à la Chine. C’était le sens des accords d’Abraham (2020) réunissant Israël, Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Maroc, que la guerre de Gaza n’a pas définitivement détruits.

Dans cette refondation nécessaire des alliances, le Maroc devrait tenir une place toute spéciale. Seul pays stable du Maghreb et des rivages de l’immense océan sahélo-saharien, il constitue une vigie incontournable sur des mondes en ébullition, traversés de tensions et de menaces. De fait, cela fait vingt-cinq ans que le pays travaille à parfaire et polir les différentes facettes de cette stabilité. Stabilité institutionnelle d’abord, avec trois élections législatives depuis le Printemps arabe et la réforme constitutionnelle de 2011 qui a en partie rééquilibré les pouvoirs entre le roi, le gouvernement et le parlement. Depuis 2011, le chef du gouvernement, chef du parti arrivé en tête, a gagné en autonomie et le nombre de nominations par le roi a été réduit. S’il n’y a pas de recette miracle en la matière, ni de leçon à donner, on peut constater que le Maroc cherche et trouve sa voie d’équilibre institutionnel.

Stabilité économique ensuite. Le pays investit massivement dans son tissu industriel (la fabrication d’automobiles a dépassé depuis 2017 celle du phosphate) et dans ses infrastructures (la ligne Tanger-Casablanca est le premier TGV d’Afrique et le port de TangerMed est désormais le premier port d’Afrique pour les conteneurs). La question du partage des fruits du développement reste pressante mais la comparaison avec ses voisins régionaux montre le volontarisme du Maroc.

La stabilité sociale est d’ailleurs sans doute le principal défi du Maroc. La lutte contre les inégalités compte parmi les enjeux prioritaires, régulièrement rappelée par le roi Mohammed VI. Le chemin est difficile mais certaines réformes sont déjà actées : la lutte contre la corruption et la prévarication avec le renforcement de l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption ; le mouvement de déconcentration et de régionalisation, qui doit favoriser efficacité et proximité de l’action publique ; la constitutionnalisation et la régionalisation du Conseil National des Droits de l’Homme. Ce mouvement s’accompagne d’une avancée, prudente mais constante, du droit des femmes puisqu’après une première réforme en 2004, une nouvelle refonte du code de la famille est en cours.

Il faut dire un mot aussi de ce qu’on peut appeler la stabilité religieuse. Avec la montée de l’islam politique, le terrorisme, les problèmes d’intégration dans les pays occidentaux, la question de l’islam domine l’agenda mondial. Avec un roi commandeur des croyants et la recherche du maintien d’un « islam du juste milieu », le Maroc promeut une conception équilibrée de l’Islam, dont le rayonnement déterminera pour partie l’issue de la « longue guerre » contre le terrorisme islamique et ses racines idéologiques.

La stabilité géopolitique est le dernier aspect de cette puissance d’équilibre que s’efforce d’être le pays. Situé à l’extrême-Occident de plusieurs mondes en crise (monde musulman, zone sahélo-saharienne et Maghreb) et à l’intersection méditerranéenne de l’Afrique et de l’Europe, le Maroc est tout simplement incontournable. La fermeté de ses positions et la portée de ses alliances (avec les États-Unis, l’Europe mais aussi les Émirats arabes unis) sont des signaux favorables. Son devenir ne peut nous laisser indifférent : la sécurité et la stabilité de l’Europe, considérée par les islamistes et djihadistes de tous acabits comme le « ventre mou » de l’Occident, sont en jeu.

Ce rapide tour d’horizon montre un fait dont il est temps que nous autres Européens prenions la mesure : vingt-cinq ans après l’accession de Mohammed VI au trône, le Maroc est devenu la première puissance régionale du Maghreb. Avec lui, le dialogue est possible. Dans le monde dangereux qui s’annonce, redisons-le, il importe d’avoir des alliés. L’ambition de la stratégie et la conscience des dangers doivent se conjuguer avec la modestie de la posture. Il est temps d’envisager une entente et une alliance refondée avec le Maroc.