Israël face au Hezbollah · Les portes de la guerre sont grandes ouvertes

Jean-Sylvestre Mongrenier, directeur de recherche à l’Institut Thomas More

1er octobre 2024 • Analyse •


Pour les Occidentaux, il ne s’agit plus tellement de se demander si une démocratie comme Israël doit ou non se comporter comme elle le fait, mais de regarder vers Téhéran. Analyse claire et grave de Jean-Sylvestre Mongrenier.


Nombreux sont ceux voulant croire que la guerre de Troie n’aura pas lieu. « Elle aura lieu » : c’est ainsi que s’achève la pièce de Giraudoux. En l’occurrence, la guerre déclenchée par le Hamas, le 7 octobre 2023, qui s’étend inexorablement au Moyen-Orient. En vérité, le régime islamique iranien mène contre Israël une guerre par procuration dont la portée et les répercussions vont très au-delà du Moyen-Orient. Nul ne pourra l’ignorer plus longtemps.

En l’état des choses, le pouvoir meurtrier du Hamas, à partir de la bande de Gaza, est réduit à son expression minimale. Cela ne préjuge en rien du futur mais la conduite diplomatico-stratégique d’une nation ne relève pas de l’eschatologie et des fins dernières : rien n’est définitivement acquis. Comme il fallait l’anticiper, la logique de la guerre s’étend au Liban-Sud et dans les banlieues chiites de Beyrouth, territoires depuis lesquels le Hezbollah harcèle depuis des mois, et même des années, le nord d’Israël (entre 60 000 et 100 000 Israéliens ont fui la région).

Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, une grande partie de son état-major ainsi que des Pasdarans iraniens (leurs tuteurs), ont été éliminés dans les bombardements des derniers jours. On ne peut qu’approuver les déclarations de l’Exécutif américain quant à de salutaires « mesures de justice ». On regrettera inversement les pudeurs de l’Elysée et du ministre des Affaires étrangères de la France, soucieux de se poser en protecteurs historiques du Liban.

France impuissante

Le problème réside dans le fait que la France n’y protège plus grand monde. Faut-il rappeler la faillite de la diplomatie libanaise d’Emmanuel Macron, pleine d’allant après l’explosion de milliers de tonnes de nitrate d’ammonium dans le port de Beyrouth (20 août 2020). Pour un peu, nous nous imaginions revenus à l’époque du protectorat français sur le Liban maronite. Au demeurant, les prédécesseurs d’Emmanuel Macron – dont Jacques Chirac, prétendument initié aux subtilités politiques locales –, avaient aussi échoué. Nous le regrettons infiniment mais les choses sont ainsi. Seul héritage d’un grand passé : la FINUL, fort mal prise dans la présente situation.

Aussi, en appeler à l’instauration d’un cessez-le-feu, alors même que se préparait la riposte israélienne aux agissements du Hezbollah, tient du leitmotiv de l’impuissant. De même la sempiternelle invocation de la solution dite politique des « deux États » (un État palestinien vivant en paix à côté d’Israël), comme si le politique pouvait se déployer en apesanteur. Arguant du caractère désirable de cette projection, ce techno-pacifisme fait fi des réalités politiques, diplomatiques et militaires locales et régionales.

De fait, il ne s’agit pas tant d’un conflit israélo-palestinien – la fondation d’Israël tenant lieu pour la religion séculière post-moderne de péché originel –, que d’une guerre iranienne à l’encontre de l’État hébreu. Une guerre indirecte qui utilise et manipule un certain nombre de forces par procuration (des proxies), milices chiites prises en main par les Gardiens de la Révolution islamique (les Pasdaran), dont le Hezbollah, ou formations terroristes djihado-sunnites ralliées au tiers-mondisme panislamique de Téhéran (le Hamas). Un régime islamique iranien qui depuis plus de vingt ans, au prix d’énormes sacrifices et de sanctions, poursuit envers et contre tout un programme nucléaire qui l’a placé au seuil de la bombe atomique. Croit-on qu’un accord israélo-palestinien (en toute hypothèse) modifierait la donne géopolitique régionale ?

Il serait erroné de penser que cette question se limite au Moyen-Orient. Le régime islamique iranien est l’allié ouvert de la Russie qu’il fournit en drones et en missiles balistiques destinés au théâtre ukrainien. Ces drones ont contribué de manière décisive à l’échec de la contre-offensive ukrainienne de l’an passé ; bientôt renforcés par des missiles, ils sont utilisés pour détruire l’infrastructure énergétique d’un pays tenu à bout de bras par l’Occident. En somme, l’Iran est indirectement engagé dans une grande entreprise militaire qui cherche à forcer les frontières orientales de l’Europe. Tout cela avec l’appui de la Chine populaire qui achète massivement les produits bruts de l’Iran et de la Russie, et leur fournit les équipements et composants nécessaires à leur industrie de guerre.

Lendemains incertains

Depuis les pogroms du 7 octobre 2023, commis par le Hamas, Israël a repris l’initiative. L’État hébreu a entrepris de rompre l’« anneau de feu » qui, à ses frontières géographiques et depuis des fronts plus ou moins éloignés lointains – le « pont terrestre » chiite entre le Golfe Arabo-Persique et la Méditerranée orientale ou encore le bastion houthiste yéménite –, menaçait de l’annihiler. Il sera désormais difficile pour le régime islamique iranien de se cacher derrière ses affidés extérieurs et la protestation de ses bonnes intentions sur le plan nucléaire. Le champ des possibles est grand ouvert.

Certes, il ne manquera pas d’observateurs prompts à inverser causes et conséquences, pour expliquer que les dirigeants iraniens seront contraints par Israël à pousser les feux. A contrario, il appert que les nations occidentales doivent user des circonstances pour accroître la pression sur l’Iran, l’objectif étant que ses dirigeants abdiquent leurs ambitions balistico-nucléaires et cessent de déstabiliser les régimes arabes sunnites du Moyen-Orient.

Voici quelques années, c’était l’objectif déclaré de la diplomatie française. Eh bien, nous y sommes ! Pour commencer, il serait bon de libérer la mer Rouge et le détroit de Bab-el-Mandeb de l’emprise houthiste. Au-delà, le recul de l’Iran, sous pression maximale, entraînerait des répercussions sur le front ukrainien et la solidité de l’axe Moscou-Pékin-Téhéran.

Faisons enfin justice de l’argument selon lequel « une démocratie (Israël) ne devrait pas se comporter ainsi ». Les régimes constitutionnels-pluralistes, ainsi que les nommait Raymond Aron, ne sont pas des idéalités platoniciennes. Ce sont des régimes politiques qui ne sauraient donc se soustraire à ce qui caractérise le « Politique », saisi dans son essence : le conflit et la guerre comme faits originaires, la distinction ami-ennemi et le recours aux moyens de la puissance, jusqu’à l’emploi de la violence armée si la conservation de l’être est dans la balance.